Ces marins qui affolent les compteurs
Voile
Armel Le Cléac’h a gagné le Vendée Globe avec plus de 4 jours d’avance sur le temps de l’édition précédente. Francis Joyon avec Bernard Stamm sont sur le point d’exploser le record du Trophée Jules-Verne. Les raisons d’un hiver propice aux chronos

Se fixer des limites pour mieux les dépasser, sans cesse redéfinir les champs du possible, tel est le moteur de l’être humain. Le sport participe de cette quête permanente de dépassement, de ce besoin de faire tomber les barrières. La voile n’échappe pas à la règle. A chaque course, à chaque tentative de record réussie, les marins rétrécissent un peu plus la planète et ses océans. Ce, au prix d’efforts physiques et mentaux inimaginables, de défis technologiques relevés et d’une météo plus ou moins complice.
Hier, à 16h37, entouré par des dizaines et des dizaines d’embarcations venues l’escorter sur les derniers milles, Armel Le Cléac’h a remporté la 8e édition du Vendée Globe. Le skipper de Banque Populaire, deux fois deuxième de ce tour du monde en solitaire sans escale ni assistance, a résisté aux assauts du Britannique Alex Thomson pour s’imposer en 74 jours 3 heures et 35 minutes. Soit près de 4 jours de mieux que François Gabart en 2013, lors de la précédente édition.
Armel Le Cléac'h remporte la huitième édition du #VendéeGlobe en 74 jours, 3 heures; 35 minutes et 46 secondes pic.twitter.com/hfravN6vas
— franceinfo (@franceinfo) January 19, 2017
L’année des records
Les larmes du Breton, habituellement très réservé, à l’heure de la délivrance, au moment de répondre à la première interview, disent toute la tension vécue qui tout à coup s’évacue. «Les derniers jours ont été tellement intenses. Je me suis battu pour chaque mètre. Un mètre lâché, c’était dur… Je la voulais tellement, cette victoire», a confié le héros du jour avant de plonger son visage dans ses mains et de craquer, submergé par l’émotion. Des larmes qui disent aussi l’abnégation nécessaire à un tel exploit. Se battre à la fois contre les éléments et les adversaires pour aller vite et au bon endroit en permanence.
Le 25 décembre dernier, le jour de Noël, un autre marin d’exception écrivait lui aussi une page d’histoire de la course au large. Thomas Coville explosait le record absolu du tour du monde à la voile en solitaire à bord de Sodebo Ultim’, son multicoque de 31 mètres. Avec un chrono de 49 jours 3 heures 7 minutes et 38 secondes, Coville pulvérisait de plus de 8 jours ce record qui tenait depuis 2007. Plus éloquent encore: il signait là le 4e meilleur temps de l’histoire, solitaire et équipage confondus. Un défi après lequel il courait depuis des années et 4 tentatives avortées. La 5e aura été la bonne et là encore, outre sa bravoure et son engagement de tous les instants, c’est la météo d’un hiver favorable aux meilleurs chronos qui a aidé Coville à accomplir son rêve.
Un hiver de tous les records, donc. Et ce n’est pas fini. Francis Joyon, skipper du trimaran Idec, avec à son bord le Suisse Bernard Stamm, est, lui, sur le point de battre le record absolu du tour du monde à la voile en équipage, celui du Trophée Jules-Verne. Joyon devrait améliorer de plusieurs jours le chrono – 45 jours 13 heures 42 minutes et 53 secondes – établi en 2012 par Loïck Peyron et ses hommes à bord du maxi-trimaran Banque Populaire V.
Conditions idéales sur l’océan Indien
Marcel Van Triest, navigateur et météorologue, est le routeur de Francis Joyon et son équipage. Devant son ordinateur à terre, il étudie les fichiers météo et guide le skipper d’Idec. Il en avait fait de même pour Peyron et ses hommes en 2012. «Cet hiver, nous bénéficions d’un enchaînement favorable. Des conditions idéales dans l’Indien ont permis de faire route directe à 35 nœuds d’un seul bord sur une mer plate. Puis une situation classique dans le Pacifique. Contrairement aux deux dernières années où nous avions une situation avec un El Niño superfort, là nous avons eu un El Niño modéré. Et donc un système un peu plus classique dans le Pacifique avec un vent correct. On a aussi eu une meilleure situation au niveau des icebergs. Avec Banque Populaire, on avait des glaces sous l’Australie et il y en avait énormément au milieu du Pacifique avec un énorme morceau que nous avions dû contourner par le nord. Et à cause de cela, nous avions raté des connexions météo dans le Pacifique.»
Quelle technologie?
Alors, jusqu’où les marins pourront-ils descendre le curseur? A quel moment les chronos deviendront-ils incompressibles? «Plus il se rapproche de zéro, plus un record devient difficile à battre, philosophe Marcel Van Triest. L’homme sera-t-il capable de courir encore plus vite sur 100 m? Peut-on sauter encore plus haut? Oui. Mais les progrès vont devenir de plus en plus petits. La marge va diminuer.» L’addition des temps de référence réalisés sur chaque tronçon d’un tour du monde (Ouessant-équateur, équateur-Bonne-Espérance, Bonne-Espérance-cap Horn, cap-Horn-équateur, équateur-Ouessant – cela permet d’évaluer la marge existante) donne un chrono virtuel de 39 jours 12 heures et 51 minutes. Le tour du monde en moins de 40 jours est donc potentiellement à portée d’étrave.
Pour y parvenir, il faudra poursuivre aussi l’évolution technologique de voiliers de plus en plus performants. Avec cette question soulevée par Loïck Peyron: «Faut-il voler sur l’eau [grâce aux foils] pour aller franchement plus vite en rallongeant la route, ou faut-il au contraire construire des bateaux plus légers, capables de s’extraire des zones sans vent?» L’avenir le dira.