Michel Desbordes: «Le digital a transformé le marketing sportif»
Formation
Un Masters en marketing du sport sera proposé à Genève à la rentrée, à l’heure où le numérique révolutionne le secteur

L’école privée CREA (formation aux métiers de la communication, du marketing, du digital et de la direction artistique) a annoncé mardi 12 avril à Genève l’ouverture en septembre 2016 d’un nouveau Master consacré au Marketing & Innovation du sport. S’il existe quelques formations similaires en Suisse, ce nouveau diplôme post-grade se veut unique par sa densité (750 heures de cours sur 18 mois, 120 crédits ECST), l’accent mis sur le digital et par une approche très pratique (les marques partenaires fournissent des mandats).
Malgré la profusion en Suisse romande de fédérations sportives internationales, de sièges européens de grands équipementiers (Columbia, North Face) et de pôles universitaires (CIES à Neuchâtel, UNIL à Lausanne), «la plupart des gens actifs dans ce domaine en Suisse romande sont étrangers ou ont été formés à l’étranger», constate le Français Michel Desbordes, directeur académique du Pôle management du sport au groupe Inseec (qui a racheté l’école CREA en septembre 2014).
Auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le sujet, Michel Desbordes estime qu’en Suisse romande, au contraire de la sociologie, «l’approche marketing du sport est un peu sous-traitée».
- Le Temps: Vous n’aimez pas la sociologie?
- Michel Desbordes: Au contraire, elle est très importante en marketing. Il est impératif de comprendre pourquoi en France les CSP + aiment le rugby, comment le baseball est devenu le sport numéro 1 au Japon vingt ans après Hiroshima, pourquoi la mort de Cruyff c’est plus que du foot en Catalogne. Un bon marketeur, c’est quelqu’un qui possède cet ancrage historique et culturel, qui maîtrise les codes du milieu dans lequel il souhaite agir.
- Le marketing sportif donne plutôt l’impression de vouloir imposer ses codes au monde du sport.
- Il ne faut pas s’arrêter à l’aspect billetterie, vente de produits dérivés. Mais il est clair que nous sommes dans la marchandisation du sport. Avec quelques outrances. Dans le football européen, la masse salariale de certains clubs atteint 90% du budget; aucune entreprise n’est viable ainsi. Tous les gosses sont émerveillés lorsqu’ils vont voir un match de NBA ou de NHL aux Etats-Unis: par la beauté de la salle, la qualité du show, le confort. C’est parce que dans le sport américain, la masse salariale ne représente que 50% des dépenses. Qu’on le veuille ou non, le modèle américain, avec un salary cap, va s’imposer un jour en Europe. Le modèle doit se stabiliser.
- Les grands clubs de football européens sont plus tentés par le modèle de ligue fermée à l’américaine que par la draft. On imagine mal Gijon être prioritaire pour recruter Messi…
- La draft n’arrivera jamais parce qu’en Europe, contrairement aux Etats-Unis, les clubs forment les joueurs. Ils ne vont pas les mettre gratuitement sur le marché. Les clubs dont vous parlez ont ressuscité le G14 pour faire du lobbying. Ils ne veulent pas changer le système mais font pression pour obtenir plus d’argent dans le modèle actuel. Ils doivent se méfier parce que les gens vont se lasser d’une Ligue des champions prévisible qui débute en septembre et où l’on retrouve en avril les 1er, 3e, 4e et 5e plus gros budgets. Ce qui risque de se passer, c’est que le foot copie la Formule 1. En F1, ce sont les rois de la régulation: une écurie domine, on change les règles; les audiences baissent, on change les horaires, les audiences chutent en Europe, on va voir en Asie.
- Vous insistez beaucoup sur l’enseignement du «digital». Dans quelle mesure a-t-il changé le marketing sportif?
- Il l’a complètement transformé. Un Michael Phelps ou un Wayne Rooney qui posent sur Tweeter ou Instagram avec une marque non-partenaire des Jeux olympiques ou de l’Euro torpillent tous les contrats d’exclusivité. C’est redoutablement efficace avec des Messi ou des Zlatan qui ont des millions de followers. Mais c’est comme pour la contrefaçon de produits de luxe: cet ambush marketing existe parce que les tarifs sont disproportionnés. Quand la FIFA facture 100 millions de francs un panneau publicitaire pendant la Coupe du monde sans contrepartie, sans hospitalité VIP, c’est un petit peu cher. Aujourd’hui, le digital vous pousse à vous poser deux questions: quel est le bon prix? Qu’ai-je à offrir?
- Il faut bien connaître le sport pour pouvoir le vendre?
- Lire L’Equipe est une condition nécessaire mais non suffisante. Dans les milieux d’affaires anglo-saxons, le sport et notamment le rugby sont d’excellents moyens d’approches. Mais ce sont des connaisseurs et gare à vous si vous faites une faute de goût.