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La mise au vert des joueurs, rituel en péril

Brisant un principe sacro-saint, Carlo Ancelotti, entraîneur de l'AC Milan, a supprimé les nuits à l'hôtel la veille des matches à domicile. Toute l'Italie s'en émeut, des langues se délient: «Ces camps retranchés ne servent à rien».

En 2006, Randolph Blake a découvert pourquoi le corps frissonne quand on gratte une craie sur une ardoise, des chercheurs espagnols ont réussi à calculer la vitesse des ultrasons à travers le fromage cheddar, le médecin américain Francis Fesmire a démontré scientifiquement qu'un massage rectal peut arrêter le hoquet et l'AC Milan a découvert que l'on pouvait supprimer le «ritiro», la rituelle mise au vert avant les matches à domicile du championnat.

Une année exceptionnelle! Les joueurs milanais ont frissonné lorsque, quelques heures avant le match contre Palerme, l'entraîneur Carlo Ancelotti a annoncé: «Samedi, ceux qui le désirent peuvent dormir à la maison.» Idem hier, avant la rencontre de Ligue des champions contre Anderlecht.

Une révolution culturelle. La réforme du siècle. Le plus conservateur des footballs européens renonçait enfin au fameux «ritiro», une institution qui semblait indéboulonnable dans la Péninsule alors que l'Angleterre et l'Espagne l'ont abolie il y a des lustres. «C'est un moyen comme un autre d'aider les joueurs à trouver leur équilibre personnel, a ajouté le coach des Rossoneri. Si rester chez eux et faire l'amour à leur femme est un facteur stabilisateur, vive la liberté!»

Bruno De Michelis, psychologue du club lombard, rappelle que Carlo Ancelotti «avait déjà été le premier à raccourcir l'interminable stage de préparation estival en le réduisant de quarante jours à sept». Mi-sérieux, mi-amusé, Ancelotti expliquait que «personne n'est assez fou pour aller en discothèque à la veille d'une rencontre» et que le seul vrai problème, «c'est la préparation des repas pour les célibataires: il faudra bientôt leur donner des cours de cuisine».

L'initiative a réveillé les révolutionnaires assoupis du Calcio. «Il était temps que quelqu'un le dise, le «ritiro» ne sert à rien», a grommelé le vieux Giovanni Galeone, entraîneur de l'Udinese. Alberto Zaccheroni, coach du Torino, acquiesçait: «La mise au vert augmente le stress.» Luciano Spalletti, entraîneur de l'AS Rome, décidait lui aussi, en dépit de la moue désapprobatrice de ses propres dirigeants, de supprimer le rassemblement de l'équipe la veille des parties à domicile: «C'est une erreur d'infliger aux joueurs un rite vécu comme une punition», se justifiait-il.

Francesco Totti et sa dulcinée Ilary ont donc eu tout le loisir de pouponner leur petit Christian le samedi précédant le match contre le Chievo Vérone, alors que la plupart des autres joueurs ont tranquillement dîné dans les restaurants de la capitale. Résultat? AS Rome-Chievo 1-1 (égalisation in extremis des Romains). Les Milanais, habitués à être cloîtrés comme des moines chartreux au centre d'entraînement de Milanello, ont également savouré la liberté reconquise; chacun à sa façon: Cafù a loué une cassette vidéo, Kakà s'est blotti avec madame sous un plaid et a joyeusement regardé la télé, Maldini a dîné en famille, Jankulovski a fêté les 9 ans de sa petite Carolina, et Nesta a empoigné le joystick de sa console vidéo.

Toutefois, les «célibataires» Inzaghi, Gilardino et Borriello ont préféré dîner et dormir à Milanello pour éviter le syndrome de l'œuf au plat raté. Ils y ont retrouvé leur entraîneur, chassé de chez lui par sa propre femme, Luisa, qui déclarait à la télévision: «Depuis trente ans, Carlo est absent le samedi soir et j'ai bien l'intention que ça continue.» Résultat? AC Milan-Palerme 0-2. Gene Gnocchi, célèbre humoriste italien, ricanait le lendemain: «Les Milanais ont tellement pris à la lettre la suppression de la mise au vert le samedi qu'ils sont aussi restés chez eux le dimanche.»

L'expérience s'étant révélée peu concluante au plan sportif, un vif débat s'est installé: «Ritiro si»? Ou «ritiro no»? Certains, à juste titre, faisaient remarquer que la Lazio, qui n'avait pas changé d'un iota ses habitudes, avait perdu 2-0 et que le classicisme pouvait donc être aussi délétère que la modernisation. La peur diffuse des entraîneurs semble pourtant être le retour en force de la «saturday night fever» chez les joueurs abandonnés à leur seule conscience. Gigi Cagni, coach du club toscan d'Empoli, guide la fronde réactionnaire: «Moi, je prône la mise au vert le samedi mais aussi le dimanche, parce c'est au soir du match que les joueurs doivent se reposer et récupérer.»

Roberto Mancini, entraîneur de l'Inter Milan, maintient le «ritiro» contre vents et marées «parce qu'en Italie, le risque, c'est que si tu perds on t'accuse d'avoir laissé libres les joueurs la veille». Les Nerazzurri qui, depuis trois ans, passaient leur samedi dans un grand hôtel dans les environs du stade San Siro, ont depuis peu retrouvé leur chambres exiguës dans le centre d'entraînement du club à Appiano Gentile. Ils les avaient quittées en 2003 après un curieux épisode. L'attaquant Christian Vieri et le milieu de terrain Gigi Di Biagio avaient mystérieusement disparu dans la nuit du samedi 12 janvier. On les avait retrouvés sur la piste de danse d'une célèbre discothèque milanaise. Suspendus par le club, ils s'étaient défendus: «Le chauffage était beaucoup trop fort dans la chambre, on étouffait.»