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Le nouveau régime des transferts ressemble à une montagne qui accouche d'une souris

Depuis le 1er septembre dernier, les footballeurs du monde entier sont libres de changer d'air en fin de contrat, sans qu'il soit question de sommes de transferts. Mais les problèmes des indemnités de formation et des entorses au droit du travail restent en suspens.

Tout ça pour ça… La nouvelle réglementation internationale sur les transferts de footballeurs pourrait servir de trame à un remake du film signé Claude Lelouch. A cette différence près qu'en l'espèce, personne ne comprendrait un traître mot du scénario. Deux années pleines, soit 730 jours de négociations ardues — parfois hargneuses — menées entre les instances faîtières du ballon rond (FIFA et UEFA), le pouvoir politique (Commission européenne), le syndicat des joueurs professionnels (FIFPro), les agents desdits joueurs et les juristes de tous bords, pour aboutir à quoi? Pas grand-chose, sinon l'autosatisfaction de s'être donné bonne conscience en tentant de clarifier une situation qui demeure embrouillée, malgré les efforts consentis.

Au bilan, deux décisions concrètes. D'abord, la liberté de changer de club pour tout footballeur en fin de contrat, sans indemnité de transfert. Il s'agit là d'une extension planétaire de l'arrêt Bosman (1995), lequel s'appliquait aux seuls ressortissants de l'UE. Et, dans la foulée, d'une réponse anticipée à la plainte déposée devant la Cour européenne de justice par le Hongrois Tibor Balog, qui jugeait discriminatoire la jurisprudence édictée voici sept ans. Car pas un spécialiste ne doute que le tribunal sis à Luxembourg lui eût donné raison, au nom de l'égalité de traitement et du droit du travail.

Combien coûte la formation?

Toujours au chapitre des transferts, on notera également l'harmonisation de la période du «mercato» (le marché autorisé), dès le terme des championnats nationaux jusqu'au 31 août, puis du 1er au 31 janvier. Unité qui signifie la fin de l'anarchie. Ce «package» est entré en vigueur le 1er septembre 2001.

Ensuite, l'épineux problème des indemnités de formation semble enfin résolu… sur le papier. Si un jeune de moins de 18 ans ne pourra plus être «vendu», celui qui changera d'équipe entre 18 et 23 ans rapportera des sous à son ancien employeur, considéré comme éducateur. Combien, en monnaie sonnante? Mystère.

«Un véritable cauchemar»

Les participants à la table ronde organisée vendredi à Cannes, dans le cadre de Football Expo 2002, n'ont pu éclairer que faiblement la lanterne du public. Jean-Louis Dupont, avocat belge: «L'indemnité sera calculée en fonction du coût de formation du joueur, et non plus sur une valeur spéculative.» Michel Zen-Ruffinen, secrétaire général de la FIFA: «Nous ne savons pas encore quels seront les critères exacts de cette indemnité.» A tout hasard, on parle de 5% de la somme de transfert — admise dans le cas présent — reversée au club formateur.

Agente de joueurs — elle fut la première femme agréée par la FIFA — l'Anglaise Rachel Anderson apporte un bémol dissonant: «Ce nouveau système ne m'empêchera pas de dormir! Il est beaucoup trop complexe pour s'avérer efficace et contraignant. Imaginez le contexte suivant. Un jeune footballeur, formé depuis l'âge de 15 ans par un club «A», signe à 19 ans un contrat avec un club «B». Celui-ci devra payer à «A» l'équivalent de cinq années de compensation. A 21 ans, le même joueur s'en va vers une équipe «C». Cette dernière s'acquittera d'un an de formation envers «B», et d'un autre au bénéfice de «A». Et ainsi de suite jusqu'à 23 ans. Un véritable cauchemar, non?» On n'a donc pas fini de rire, sauf du côté des clubs formateurs, dont certains mourront d'inanition financière avant que les pièces du puzzle soient assemblées.

Entrave au droit du travail

Autre point opaque: passé l'âge fatidique de 23 ans, le joueur aura l'obligation de rester fidèle à son club pendant la durée de son engagement (maximum trois saisons), excepté si les parties concernées tombent d'accord sur les conditions d'un transfert intermédiaire. Cette sédentarité forcée n'entre-t-elle pas en conflit avec le principe de la liberté de circulation? Ne constitue-t-elle pas une entrave au droit du travail? Un organe consultatif, le Tribunal arbitral du foot, examinera à l'avenir les multiples litiges que ne manquera pas d'engendrer une telle ambiguïté. Mais rien n'empêchera le joueur qui s'estime lésé de porter son cas devant une Cour civile.

Dès lors, on ne pariera pas un centime sur le fait que l'argumentaire de la «spécificité sportive» puisse tenir longtemps face à la vraie loi.