Dans les milieux du sport international, l’année 2019 sera occupée par la saga des entreprises sportives qui veulent concurrencer des fédérations internationales (FI) de sports olympiques au travers de nouvelles compétitions. Qui sont-elles, que cachent leurs velléités et quels sont les enjeux? On peut en citer trois déjà très actives et d’autres peut-être en devenir.

L’entreprise sportive dont on a le plus parlé à la fin de l’année dernière est l’International Swimming League (ISL), qui voulait organiser, en décembre 2018, un grand meeting de natation sur invitation à Turin. Les meilleurs nageurs de la planète auraient pu y gagner d’importants prix en espèces. La FI concernée – FINA (Fédération internationale de natation) – a réagi rapidement en menaçant de deux ans de suspension les nageurs qui y participeraient (et ne pourraient ainsi pas prendre part aux Jeux de Tokyo 2020) et en créant un circuit (baptisé Champions Swim Series) où concourront pour un prize money substantiel huit groupes continentaux formés chacun de 12 nageurs et de 12 nageuses du monde entier (et pas seulement d’Europe et d’Amérique, comme prévu par l’ISL). En réaction, l’ISL s’est établie comme une association de nageurs indépendants financée par l’oligarque russe Konstantin Grigorishin.

Mélange des genres

En équitation, la Global Champions League (GCL) organise depuis treize ans le Longines Global Champions Tour, une compétition richement dotée pour les meilleurs cavaliers de saut d’obstacles, en 17 manches (en 2018), dont certaines se sont déroulées à Lausanne dans le passé. Cette GCL a été fondée par le médaillé olympique de saut d’obstacles néerlandais Jan Tops et permet à des cavaliers d’acheter leur participation. Il entre en concurrence directe avec des événements sanctionnés par la FEI (Fédération équestre internationale) – sponsorisée de longue date par… Longines – ou d’autres épreuves renommées comme le Concours hippique international de Genève sponsorisé par Rolex.

Dans le cas de la boxe, c’est la FI olympique – l’AIBA (Association internationale de boxe) [autrefois amateur] – qui veut prendre de court les quatre principales fédérations de boxe professionnelle en reformatant son World Series of Boxing pour boxeurs professionnels, qui perdait de l’argent sous son ancien président et qui espère en gagner avec son nouveau, l’oligarque ouzbek Gafur Rahimov. Mais ce dernier étant inscrit sur une liste noire américaine du trafic de drogue, le CIO (Comité international olympique) s’est prononcé contre son élection et a récemment décidé de demander des comptes à l’AIBA sur sa gouvernance, au point que la place de la boxe au programme olympique de Tokyo 2020 pourrait être en danger, en tout cas sous le contrôle de l’actuelle AIBA.

Ces cas en natation, équitation et boxe cherchent à reproduire ce qui existe déjà depuis de longues années dans des sports plus médiatisés comme le golf (avec le PGA – Professional Golfers Association) ou le tennis (avec l’ATP – Association of Tennis Professionals, pour les hommes, et la WTA – Women’s Tennis Association, pour les femmes); ou ce que certains rêvent de créer avec les grands clubs de football européen pour concurrencer la Ligue des champions de l’UEFA (Union des associations européennes de football).

Des sanctions contraires au droit

Comme l’a rappelé, il y a un an, la Commission européenne à l’ISU (International Skating Union) à la suite de la plainte de deux patineurs de vitesse qui voulaient participer à la compétition lucrative Ice Derby, l’exclusion d’athlètes de ses compétitions est contraire au droit européen de la concurrence. Il en ira de même pour d’autres FI et sur d’autres continents. D’ailleurs, la ligue ISL et des nageurs ont porté plainte collective contre la FINA en… Californie.

Derrière ces luttes pour l’organisation de compétitions au sommet se cache le thème de la rémunération des athlètes (pour une simple participation ou pour leur rang dans la compétition). Cette rémunération est acquise de longue date dans des sports-spectacles comme le cricket, le golf ou le tennis et plusieurs sports d’équipe (notamment nord-américains), où les professionnels gagnent ainsi largement leur vie, ainsi que dans quelques autres sports olympiques comme l’athlétisme ou le judo où les FI concernées attribuent des prix en espèces (comme le fait aussi d’ailleurs la… FINA). Mais, dans la plupart des sports, les meilleurs athlètes ne peuvent vivre de leur activité.

Un bien commun ou un produit?

Cette critique est sous-jacente à toutes les revendications des athlètes pour une meilleure représentation et une meilleure gouvernance. Elle sera sûrement abordée lors du Forum des athlètes organisé par le CIO à Lausanne, en avril prochain. Il en va du futur modèle du sport mondial, comme le rappelait récemment le président du CIO en demandant aux comités olympiques nationaux de travailler avec leurs gouvernements pour soutenir le «modèle européen [traditionnel] du sport».

Il ne s’agit pas seulement de systèmes de relégation/promotion ou de niveaux de salaire. Il s’agit aussi de savoir si les sports resteront des biens communs qui permettent à la base d’être financée par l’élite ou s’ils deviendront la propriété commerciale de quelques magnats soutenus par quelques stars.