Le Temps: Quoique confortable, votre élection a été très contestée. Certains, accusant votre prédécesseur de vous avoir avantagé, notamment par le biais de la corruption, ont même remis en cause le déroulement du vote à Madrid. Comment l'avez-vous vécu?
Pat McQuaid: Tout d'abord, ce n'est pas Hein Verbruggen qui a appuyé ma candidature, mais l'ensemble du comité directeur de l'UCI. Ils me connaissent depuis longtemps et ils ont pris leurs responsabilités en me choisissant, tout en sachant que chaque fédération avait la possibilité de nominer quelqu'un. Quant aux critiques que j'ai connues avant l'élection, elles étaient dirigées par des gens ou des entités qui, mécontentes de certaines décisions prises par l'UCI, cherchaient à s'emparer du pouvoir. Leur vision n'est pas neutre, mais commerciale. Ils représentaient un grand danger pour le cyclisme mondial, à mes yeux comme à ceux du comité directeur.
Vous parlez des organisateurs du Tour de France, du Giro et de la Vuelta. Où en est le conflit qui les oppose à l'UCI, concernant le format du Pro Tour et le fait qu'il soit réservé à l'élite?
Eux doivent faire de l'argent, moi je pense au développement du cyclisme. La base de la pyramide doit aussi profiter de l'argent généré par le sommet. Sinon, l'élite sera, à terme, la première à en pâtir. Il y a eu beaucoup de discussions depuis des mois. La prochaine rencontre est agendée à ce lundi. Avec une commission de sponsors et des représentants d'équipes, nous travaillons à une stratégie afin de trouver un terrain d'entente avec les organisateurs des grands tours. Il n'y aura pas d'accord total, mais j'espère que chacun fera bloc afin d'aboutir à un équilibre satisfaisant pour tous.
Peut-on imaginer un Pro Tour privé de ses principaux fleurons?
Je me refuse à envisager une telle rupture. La structure et la longue tradition du cyclisme ne devraient pas le permettre. Pour sortir du Pro Tour, les organisateurs auraient besoin du soutien des équipes et des sponsors, ce qui n'est pas le cas. Chacun doit réaliser que toutes les parties souffriraient trop d'une cassure définitive.
En accédant à la présidence de l'UCI, vous avez hérité d'un sacré pouvoir. Que comptez-vous en faire?
Plutôt que de pouvoir, je parlerais de responsabilité. Envers les fédérations et tous les membres de la famille cycliste. Je baigne dans cet univers depuis l'âge de 5 ou 6 ans (ndlr: son père et ses six frères ont été coureurs). J'en connais tous les rouages et cela m'aidera dans ma tâche. Outre ma volonté d'apaiser le conflit que nous venons d'évoquer, mon objectif personnel consiste à développer notre sport en dehors de l'Europe. Je veux y parvenir avec neutralité et objectivité, en travaillant sur les circuits continentaux asiatique, africain et américain. C'est peut-être parce que je viens d'Irlande, où les gens sont ouverts, mais je pense que le peloton doit être beaucoup plus international.
Vous parlez du cyclisme comme une famille. Vous sentez-vous dans le rôle du père?
Je ne suis ni le père, ni la grand-mère, ni le parrain Don Corleone. Au même titre que le gars qui agite un drapeau au bord de la route, je veux le bien du cyclisme.
Comment lutter contre le dopage?
Il y aura toujours des tricheurs, mais je suis convaincu qu'il est possible de remporter ce combat. Les choses ont changé par rapport à l'époque où le dopage était organisé à l'interne. Le problème vient désormais de cas individuels, suivis par des médecins personnels. Tout le monde travaille contre ça, mais nous devons encore améliorer la coordination entre tous les pays. Nous multiplions aussi les contrôles hors compétitions. Cet hiver, Jan Ullrich et ses coéquipiers ont reçu la visite impromptue d'inspecteurs deux fois en deux jours. Imaginez ce qu'il se passe dans la tête des coureurs... Ils savent que les tricheurs sont éjectés.
Que pensez-vous des contrôles a posteriori et du cas Lance Armstrong?
Je pense qu'Armstrong a raison d'être fâché, parce que les accusations qui pèsent contre lui ne reposent pas sur une procédure correcte et légale. Faut-il revenir 5, 10 ou 20 ans en arrière, sortir des gens de leur tombe? Dans le futur, les contrôles a posteriori peuvent être intéressants, mais il s'agit d'abord de mettre sur pied un système sérieux, ratifié par tous.
Avez-vous connu le dopage en tant que coureur?
On ne m'a jamais rien proposé. Il y a eu des cas positifs, mais ils résultaient la plupart du temps d'erreurs.
Lors du dernier Tour, les Français, dont la législation est très sévère, ont parlé d'un cyclisme à deux vitesses...
Les Français, qui n'ont plus gagné le Tour depuis 1986, ont un problème psychologique: ils doivent accepter l'idée que le cyclisme a changé, que la concurrence est accrue. Leur dernier héros est Richard Virenque, qui a prouvé en fin de carrière qu'il était possible de gagner sans tricher, et je pense qu'ils se montrent un peu mauvais perdants.
Comment envisagez-vous la saison qui débute, la première depuis la retraite de Lance Armstrong?
La compétition s'annonce ouverte et très excitante. Concernant la succession de l'Américain sur le Tour, mon favori est l'Italien Ivan Basso, un athlète jeune et agressif. Je respecte beaucoup Jan Ullrich, mais je pense qu'à force de terminer deuxième, il aura du mal mentalement. Il faudra aussi suivre de près les coureurs complets que sont Alejandro Valverde, Floyd Landis et George Hincapie.