Patrick Küng, des lendemains qui déchantent
ski alpin
Champion du monde de descente en février dernier à Beaver Creek, le Glaronais revient ce week-end dans le Colorado. Mais ce n’est plus le même homme

Une malédiction plane sur le ski suisse. Invariablement, le champion qui émerge et fait naître des espoirs est ensuite frappé par le destin. A un titre de gloire succèdent des lendemains qui déchantent. La dure loi du sport sans doute, mais pas que. Sans remonter au tragique accident de Silvano Beltrametti en décembre 2001 à Val d'Isère, qui laissa le grand espoir grison paraplégique, les exemples sont trop nombreux de ces chercheurs d’or aux spatules soudainement de plomb. Avant de briller à la trentaine, Didier Cuche, médaillé d’argent à 24 ans aux JO de Nagano en 1998, fut longtemps freiné par des blessures physiques ou existentielles. En 2007, Daniel Albrecht obtint simultanément l’or (super-combiné), l’argent (géant) et le bronze (par équipe) aux Mondiaux d’Are. Il confirma son potentiel l’année suivante mais en février 2009, il fut victime d’une chute terrible à Kitzbühel. Il revenait dix-neuf mois plus tard mais abandonna la compétition en 2013.
En 2010, Didier Défago se faisait les croisés du genou gauche six mois après son titre olympique de Vancouver, dont il ne profita finalement que très peu. A la même époque, Carlo Janka était le meilleur skieur du monde, champion olympique et vainqueur du classement général de la Coupe du monde en 2010. Une opération du cœur (problèmes d’arythmie) lui fit perdre le rythme. Il mettra quatre ans à retrouver son «mojo». Pas trop grave pour le ski suisse, croyait-on, puisque que déboulait entretemps Beat Feuz, pas loin d’empocher le gros globe de cristal en 2012. Pour mettre toutes les chances de son côté, le Bernois se faisait opérer du genou gauche durant l’été qui suivait mais des complications (douleurs, inflammation), l’obligèrent à déchausser pour un an. Ce devait donc être le tour de Patrick Küng.
En février dernier, le monde – et, soyons honnêtes, une grande partie de la Suisse – découvrait Patrick Küng. Hilare sur le podium de Beaver Creek à côté de son pote Beat Feuz (troisième), chantant l’hymne national à gorge déployée, belle gueule à l’américaine, le Glaronais claironnait son bonheur en or, déployait un cv plus riche de blessures que de victoires et revendiquait une approche du ski un peu plus cool que la moyenne. Onzième Suisse sacré champion du monde de vitesse depuis Walter Prager en 1931, mais le premier depuis Bruno Kernen à Sestrières en 1997, Patrick Küng racontait alors ce que disent tous les champions qui percent sur le tard. Que ce titre mondial était une surprise pour tout le monde sauf pour lui. Qu’il savait qu’il avait le potentiel, qu’il a toujours été considéré comme un super talent. Qu’il avait passé par des moments difficiles, comme la mort de son ami Werner Elmer en 2002 à 19 ans, ou sa triple fracture en 2006 (cheville gauche, tibia-péroné de la jambe droite). Qu’il a mis du temps à placer toutes les pièces du puzzle, qu’il avait un peu perdu de temps en chemin et fait quelques erreurs de jeunesse (exclu des JO de Vancouver pour ivresse) mais que, à 31 ans, il se sentait encore en pleine forme, plus fort que jamais et débordant d’ambition.
A la fin de la saison, le nouveau golden boy du ski suisse changeait de matériel. Une étape toujours délicate mais qui devait l’aider à passer la vitesse supérieure et atteindre son nouvel objectif: gagner la Coupe du monde de descente. C’était compter sans la malédiction. Fin juillet, lors d’un test de condition physique, Küng se blesse au genou gauche. Au premier examen, le camp suisse respire: pas de rupture des ligaments croisés, l’épée de Damoclès des skieurs modernes. Mais la blessure, une inflammation du tendon rotulien, est sournoise. Et s’obstine à lui pourrir l’été. Les médecins préconisent une pause forcée de «six à huit semaines». Un sportif qui entend ça comprend «six» et vise «cinq». Mais ce sera huit, sans réduction de peine. Huit semaines sans possibilité de skier intensément. Tandis que ses coéquipiers dévalent les pentes du Chili, lui enchaîne les exercices de réadaptation, les séances de physiothérapie et les rendez-vous chez les médecins. «Pendant quelques semaines, j’ai été presque désespéré, car je ne progressais pas», dira-t-il à Schweizer Illustrierte.
Il vise septembre, mais en septembre, il n’est toujours prêt à reprendre l’entraînement sur la neige. Il prend du retard dans l’expérimentation de son nouveau matériel, perd son fluide, sa confiance mais pas ses réflexes. Dans l’adversité, cette vieille complice si souvent vaincue, le champion garde ses repères et cette impérieuse nécessité de se fixer un objectif. «Si je peux m’entraîner à 100% en octobre et novembre, je serai prêt pour Lake Louise», (se) promet-il.
Il y était, avec neuf jours de ski dans les jambes contre une quarantaine à ses adversaires. Devant la presse, avant la course, le discours a changé. Le beau gosse débordant de confiance du podium de Beaver Creek a laissé placé à un homme prudent et patient, qui se réjouit de retrouver ses sensations, qui n’écarte pas la possibilité de finir 30e ou 40e, et qui «si les résultats ne suivent pas tout de suite», espère «être de nouveau parmi les meilleurs en janvier pour Wengen et Kitzbühel». Le globe de cristal en Coupe du monde? «Le printemps dernier, c’était effectivement l’un de mes buts pour la saison 2015-2016. Ma blessure au genou a toutefois changé la donne, même si je garde toujours cet objectif dans un coin de ma tête.»
A Lake Louise, Patrick Küng a fini 16e de la descente et 19e du super G. Les deux courses ont été remportées par Aksel Lund Svindal. Un revenant lui aussi. Blessé au tendon d’Achille, le Norvégien était passé au travers des Mondiaux de Beaver Creek, ceux-là même qui avaient fait de Patrick Küng le nouveau king. Vendredi, le skieur descendu de son olympe remontera au sommet de sa piste fétiche pour s’élancer dans le portillon de départ. Avec ses souvenirs, ses rêves et ses capacités du moment. En sport, le talent n’est qu’une condition, nécessaire mais non suffisante, de la réussite. Il faut lui adjoindre le travail, la volonté, l’encadrement, et la chance. Et, à défaut, la patience et l’obstination.