Ce dimanche 14 novembre à Valence en Espagne, Valentino Rossi fera ses derniers tours de piste. A 42 ans, après 26 saisons à arpenter les circuits du monde entier, dont 22 dans la catégorie reine. Cette année, les résultats de l’autoproclamé docteur en motocyclisme ne sont pas à la hauteur de son glorieux passé: il figure à la vingtième place du Championnat de MotoGP avant la dernière course. Mais sa légende, elle, demeure intacte.
C’est d’autant plus vrai dans le village qui l’a vu grandir et qu’il habite encore aujourd’hui. Tavullia abrite également son écurie VR46, qui fera ses débuts en MotoGP la saison prochaine, ainsi que son ranch et sa piste, sur laquelle s’entraînent le pilote et les jeunes membres de la VR46 Riders Academy.
«Ti amo», un signe du destin
A notre arrivée à Tavullia, la radio diffuse Ti amo, le tube d’Umberto Tozzi sorti en 1977. Certainement un signe du destin, tant l’amour entre le village et son pilote est grand. Au cœur de la bourgade, Flavio Fratesi nous reçoit dans les locaux du fan-club, qu’il a fondé en 1997 avec onze de ses amis. Il se présente comme «le responsable ou plutôt l’irresponsable du fan-club», avant d’éclater de rire. L’homme est un enfant de Tavullia. Et il le dit sans hésitation: «Sans Valentino Rossi, Tavullia serait un village tout ce qu’il y a de plus normal, comme il y en a des milliers d’autres en Italie.» Un petit tour suffit à s’en rendre compte. Tout respire Valentino Rossi dans cette localité de 8000 habitants.
A quelques secondes de marche à peine du fan-club se trouve le magasin officiel, qui vend tous les produits dérivés du pilote. T-shirts, casquettes, porte-clés, lunettes, tasses, peluches, masques de protection contre le Covid-19: rien n’est trop extravagant pour être estampillé du numéro 46, hérité de son père Graziano, qui l’utilisait déjà en Championnat du monde et que le pilote n’a jamais quitté. En face de la boutique, le bar, gelateria, restaurant et pizzeria Da Rossi. Parce qu’à Tavullia, vous pouvez même manger chez Valentino, pour qui travaillent une huitantaine d’habitants de la région.
Dans les rues alentour, les drapeaux à la gloire du pilote flottent aux fenêtres des maisons. La légende veut que la limitation de vitesse à l’intérieur du village soit fixée à 46 km/h. Bien que par le passé des panneaux aient affiché cette limite, il s’agit d’un mythe, le Code de la route ne permettant pas cette particularité.
Rien n’interdit en revanche l’omniprésence du jaune fluo légendaire de Valentino Rossi. Jusque sur les contreforts du château, où trône, à l’approche de sa retraite, une immense toile pour le remercier: «Grazie Vale!» Sur la porte d’entrée de l’hôtel de ville, où travaille en tant que géomètre la maman de Valentino Rossi, le même slogan apposé sous une photo de l’idole.
La syndique Francesca Paolucci nous reçoit dans son bureau pour évoquer l’importance de Valentino Rossi pour sa commune. Elle a l’habitude. Rares sont les journalistes à la contacter pour parler d’un autre sujet. «Si certains touristes cherchent à retrouver un contact avec la nature, notre village étant situé entre la mer et les montagnes, la plupart viennent ici pour Valentino. Il a fait connaître Tavullia à travers le monde», se réjouit-elle.
Quelque 100 000 touristes par année
Chaque année près de 100 000 personnes convergent sur les traces de leur idole. Ce jour-là, il y a Leon, un trentenaire allemand. «J’ai grandi avec Valentino Rossi. Tous les dimanches, je regardais les courses de MotoGP avec mon père. Je voulais voir ce village de mes propres yeux», glisse-t-il, en admirant une immense toile apposée face au local du fan-club et retraçant, en photos, la carrière du pilote. Quelques mètres plus loin, casquette floquée du numéro 46 vissée sur la tête, pull estampillé «The Doctor», nous rencontrons Daniel, admirateur depuis plus de vingt ans. Ce Belge a fait le déplacement avec sa femme et ses deux filles. Pour lui, il s’agit de la septième fois. «Et ce ne sera pas la dernière, assure-t-il. Tant qu’il roulera je serai toujours là et ça sera pareil après.»
Le cœur du village est devenu le centre du monde pour le «peuple jaune». Si chaque week-end de grand prix ils sont des milliers à garnir les tribunes réservées aux fans de Valentino Rossi (7000 personnes sont attendues à Valence), c’est dans les Marches que la passion est à son paroxysme. Dans le bureau du fan-club, Daniel inscrit ses filles. Elles deviennent, officiellement et pour douze mois, fans de Valentino Rossi, contre une cotisation de 40 euros. Cartes d’adhérents numéros 17 158 et 17 159. «Les membres proviennent de 88 pays dans le monde», souligne Flavio Fratesi. Et la fin de carrière du pilote n’a aucun impact sur son nombre de supporters. Au contraire.
«En 2009, lors du dernier titre de Valentino, nous avions 6000 adhérents. Aujourd’hui, nous dépassons les 17 000. Ce n’est pas normal, s’exclame Flavio Fratesi. Le rapport entre Valentino et ses fans est incroyable. Si je ne l’avais pas constaté, en me rendant à toutes ses courses à travers le monde lors des 18 dernières années, je n’y croirais pas. Un jour, quelqu’un m’a dit que de l’Italie, il connaissait Ferrari, le pape et Valentino Rossi.»
«Maman, heureusement que je suis malade»
Valentino Rossi est une légende. Au point que les sœurs d’un couvent de la région de Tavullia ont décalé la prière du dimanche de 14 à 15h, pour voir ses courses. Au point même que pour certains enfants, «la maladie devient un privilège», raconte Flavio Fratesi. Depuis une douzaine d’années, il se rend, avec d’autres membres du fan-club, dans les hôpitaux pour enfants d’Italie. Depuis le début de la pandémie, ils en ont visité une trentaine. «Lorsque nous étions à Palerme, un enfant s’est retourné vers sa maman et lui a dit: «Maman, heureusement que je suis malade, comme ça, j’ai pu obtenir les gadgets de Valentino Rossi.» C’est anormal. Mais c’est une preuve de la grandeur de sa légende.»
Il vous faut une autre preuve? Quatre autres pilotes de moto habitent à Tavullia – Luca Marini, le demi-frère de Valentino Rossi, Franco Morbidelli, champion du monde de Moto2 en 2017, Celestino Vietti, qui court en Moto2, et Alberto Surra, en Moto3 – et pourtant personne ou presque ne semble y prêter attention. Même si cette année Franco Morbidelli et Luca Marini précèdent le «Docteur» au classement de MotoGP. «Valentino est un phénomène, il n’y en aura pas d’autres comme lui», souffle simplement Francesca Paolucci.
Mais la syndique de questionner tout de même: «Existe-t-il, dans le monde, une autre commune qui a trois pilotes en MotoGP?» Certainement pas. Alors comment expliquer cette particularité? Flavio Fratesi se souvient que, depuis sa plus tendre enfance, tout le monde parlait de moto dans le village. «Normalement, dans les bars ou chez le barbier, les discussions tournent autour du football ou du cyclisme, à Tavullia on parlait seulement de moto», détaille-t-il. Au point que cela devienne une habitude, jusqu’à faire officiellement de ce village et de la région qui l’entoure une «terre de pilotes et de moteurs». Ce projet consiste à construire, à partir d’une passion, un atout de développement économique et touristique.
Alors que la pluie s’est arrêtée, Flavio Fratesi nous emmène voir la maison d’enfance de Valentino Rossi, quelque peu en dehors du village. Un vieux Piaggio Ape 50 est parqué sur une plate-bande d’herbe, juste en dehors de la propriété. «C’est celui avec lequel Valentino tournait dans les rues de Tavullia lorsqu’il était plus jeune», sourit Flavio Fratesi. Graziano, le papa du pilote, vit encore dans cette bâtisse. Celle de son fils se situe sur les hauteurs du village. Où ça précisément? Les habitants sont tout à coup moins loquaces. Nous n’en saurons rien.
Berta, septuagénaire et fan absolue
Lors de notre reportage, nous apprendrons qu’il se trouve à Tavullia, mais nous ne le verrons pas. L’homme se fait discret. Chez lui, Valentino Rossi est un habitant comme un autre. Il est demeuré l’enfant du village, celui qui faisait pétarader son moteur et crisser ses pneus en tournant autour du château. Face à l’édifice, un kiosque à journaux, comme sorti d’un autre temps. A l’entrée, un fauteuil de coiffeur qui ne sert plus depuis bien longtemps. Plus loin, au fond du magasin, des outils servant au ressemelage des chaussures. Des photos et posters de Valentino Rossi sont dispersés un peu partout. Et derrière le comptoir: Alberta Gambini, que tout le monde appelle Berta dans le village. La septuagénaire se remémore ses souvenirs du «bambino». «Pour moi qui l’ai vu grandir, c’est encore un enfant, même s’il a 42 ans», rigole-t-elle, assurant que l’amour que lui portent les habitants de Tavullia est d’autant plus fort qu’il y est resté vivre. «Il aurait pu aller à Monte-Carlo, comme beaucoup d’autres, mais non», appuie-t-elle.
Comme tous les anciens du village, Berta s’est convertie aux courses de moto grâce à Valentino Rossi. «Le lundi, tous les anciens du village, nous nous retrouvons pour parler de la course qu’a faite Valentino et des émotions qu’il nous a procurées», sourit-elle. Ce dimanche 14 novembre ne fera pas exception. Berta sera devant son poste de télévision pour regarder, une dernière fois, son protégé. Et comme toujours, elle aura la peur au ventre, car malgré l’habitude elle a «toujours peur qu’il se fasse mal».
Aux alentours de 14h45, quand Valentino Rossi passera pour la dernière fois une ligne d’arrivée en grand prix, Alberta versera une larme, avoue-t-elle, avant d’éteindre son poste. Ce sera, à n’en pas douter, son dernier grand prix à elle aussi. «C’est un beau sport, mais sans Valentino il n’aura plus la même saveur», glisse-t-elle. Peut-être rallumera-t-elle sa télévision pour regarder ses futures prouesses au volant d’une voiture, lui qui a déjà assuré que l’an prochain il roulerait en GT, sans préciser encore dans quelle catégorie. Début novembre, il s’entraînait d’ailleurs sur le circuit de Misano, à quelques kilomètres seulement de Tavullia. Avec son demi-frère Luca Marini et son ami de toujours Uccio Salucci, ils seront au volant d’une Ferrari, lors des 12 heures d’Abu Dhabi en janvier.
«Marquez qui?»
La légende se poursuivra peut-être sur quatre roues. Mais sur deux roues, sa légende peut-elle perdurer, ou d’autres prendront-ils sa place? A l’image du Français Fabio Quartararo, 22 ans et sacré champion du monde cette année, ou de Marc Marquez, déjà octuple champion du monde toutes catégories confondues à 28 ans. «Marquez qui?» répond ironiquement la syndique Francesca Paolucci. Elle ajoute: «Marc Marquez est un grand pilote, mais il n’est pas sympathique. Ça fait toute la différence.»
Valentino Rossi remplacera-t-il le mythe de la moto qu’est Giacomo Agostini dans le cœur des Italiens? A Tavullia, c’est fait depuis longtemps. Pour ses fans, Valentino Rossi fera à jamais partie de ces sportifs plus grands que leur sport. A l’image de Michael Jordan pour le basketball ou de Roger Federer pour le tennis. Mais Valentino Rossi ne dépasse-t-il pas ces deux légendes et toutes les autres? Vous en connaissez beaucoup, vous, des supporters qui se rendent à Bâle pour la seule raison que la cité rhénane a vu naître et grandir Roger Federer?
Profil
1979 Naissance à Urbino.
1996 Premier grand prix en 125 cm³, en Malaisie.
1997 Premier titre de champion du monde, en 125 cm³.
1998 Débuts en 250 cm³.
1999 Champion du monde en 250 cm³.
2000 Débuts dans la catégorie reine, 500 cm³, devenue depuis MotoGP.
2001 Premier titre de champion du monde dans la catégorie reine.
2009 Neuvième et dernier titre de champion du monde.
2017 Dernière victoire en grand prix, à Assen, aux Pays-Bas.
2021 Prend sa retraite de pilote de moto.
Le palmarès de Valentino Rossi
431* Le nombre de départs en grand prix, avant sa dernière course à Valence.
9* Le nombre de titres de champion du monde.
115* Le nombre de victoires.
120* Le nombre de podiums (excepté victoires).
65* Le nombre de pole positions.
38 ans et 129 jours Son âge lors de sa dernière victoire.
20 ans et 311 jours L’écart entre sa première victoire en 125 cm³ et sa dernière en MotoGP.
* Toutes catégories confondues