Transferts
Entre les clubs et les joueurs du pays, de nombreux contrats se négocient avant les Fêtes pour le championnat suivant. Le système a ses défauts, mais passe pour un bon compromis

Michael Ngoy a décidé de quitter Fribourg-Gottéron pour Ambri-Piotta après onze ans sur les bords de la Sarine. Un nouveau défi sportif pour le hockeyeur de 33 ans, un choix de vie pour un homme qui peut se le permettre aujourd'hui. «Vivre une aventure comme celle-ci, c'est maintenant ou jamais, glisse-t-il. Ma femme ne travaille pas, mes deux enfants ne vont pas encore à l'école. Moi, je suis au pic de ma forme, je pouvais encore décrocher un bon contrat.» Particularité toute helvétique: son transfert a été annoncé mardi, mais il ne sera effectif qu'au terme de la saison en cours. D'ici-là, le Vaudois jouera encore plusieurs fois contre sa future équipe.
Il est loin d'être le seul dans cette situation. A Ambri, Inti Pestoni joue samedi contre les ZSC Lions, pour qui il a signé cette semaine un contrat de trois ans. Il sait déjà que Samuel Guerra, le défenseur de Davos, sera son adversaire le 22 décembre, mais aussi son coéquipier les deux prochaines saisons à Zurich. Des jolis coups ont été réalisés il y a près de deux mois déjà: le CP Berne a annoncé le 1er octobre la future arrivée du gardien Leonardo Genoni (Davos).
La saison régulière n'en est qu'à sa moitié, les séries sont une douce musique d'avenir, mais le «mercato» des joueurs suisses libres en fin de saison bat son plein. Négociations, prolongations, transferts. «Cela peut paraître étrange vu de l'extérieur, reconnaît Michael Ngoy. Mais pour nous, c'est naturel. Ces contrats signés des mois à l'avance font partie de la culture du hockey suisse.»
Contrôles et sanctions
Le contraste est saisissant par rapport à la NHL, la ligue professionnelle nord-américaine, où les joueurs libres de s'engager avec la franchise de leur choix doivent patienter jusqu'au 1er juillet pour parapher leur contrat. Même le temps des négociations est compté: elles ne peuvent débuter avant le 25 juin. «En Suisse, il n'y a pas de règlement qui interdit de discuter avec d'autres clubs, explique Ueli Schwarz, directeur de la Ligue nationale. Comme dans la vie civile: ce n'est pas parce que vous êtes sous contrat que vous ne pouvez pas regarder ailleurs.» Si la Fédération voulait imposer des directives, elle se heurterait encore à la difficulté de contrôler leur application et de sanctionner les contrevenants.
Ueli Schwarz reconnaît volontiers qu'il n'aime pas trop les annonces de transferts anticipés, car «c'est difficile à vivre pour les clubs et le joueur concernés». Mais le système répond à une logique. Sur la forme, autant communiquer les transferts dès qu'ils sont entérinés: «Cela sortirait de toute manière, car il y a beaucoup de personnes impliquées.» Sur le fond, les joueurs ont l'opportunité d'assurer leurs arrières rapidement. «Dans ma carrière, je n'ai jamais passé le mois de décembre sans avoir signé mon contrat pour la saison suivante, note Michael Ngoy. C'est une question de sécurité.» Par rapport à une NHL où les clubs sont tout-puissants, la Suisse met les joueurs sur un piédestal. Mais pas seulement.
Un marché restreint
La taille du marché local incite les clubs à une course de vitesse pour s'adjuger les meilleurs renforts. «Le milieu du hockey suisse est relativement petit, avec environ 30 000 licenciés pour nourrir douze équipes de LNA, indique Ueli Schwarz. Le choix de joueurs talentueux est loin d'être infini, donc les clubs veulent assurer la qualité de leur contingent rapidement.» En comparaison, le football suisse compte quelque 250 000 licenciés pour dix clubs en Super League. Comme en LNA, il y a douze formations en première division suédoise de hockey, mais avec près de 66 000 licenciés, la base est beaucoup plus large. «Il y a naturellement plus de joueurs de haut niveau, donc les clubs peuvent davantage se permettre de voir venir», analyse-t-il.
L'offre et la demande, toujours. Ainsi, le «mercato» des renforts étrangers ne se déroule pas plusieurs mois à l'avance comme celui des joueurs suisses. Les clubs temporisent jusqu'à l'été, pour notamment faire leurs emplettes parmi ceux qui n'ont pas trouvé d'embauche en NHL. «A l'international, il y a tellement de possibilités qu'il vaut mieux attendre», affirme Ueli Schwarz, ancien manager de Langnau, Lausanne et Bâle.
Calcul des risques
Il y a toujours un risque à signer des contrats tôt. Entre octobre-novembre et le début de la saison suivante, les joueurs recrutés peuvent se blesser. Mais un autre danger l'emporte dans l'esprit des recruteurs: celui de trouver un marché asséché après avoir trop patienté. Les clubs promus en LNA en savent quelque chose. Comment construire une équipe pour l'élite quand le chemin pour y accéder est incertain, encore long d'une demi-saison régulière de LNB, de playoffs et d'un barrage face à une équipe de division supérieure? «Pour monter, il faut presque déjà avoir une équipe de niveau LNA une année avant, remarque Ueli Schwarz. Ou alors profiter du contingent de l'équipe qui descend pour se renforcer.» En fin de saison dernière, quatre joueurs de Rapperswil, relégué, ont ainsi rejoint Langnau, promu, au terme du barrage.
Au-delà d'une mécanique «win-win-win» (le joueur assure ses arrières, sa nouvelle équipe balise son avenir et celle qu'il quitte a le temps de se retourner), les transferts anticipés mettent le hockeyeur dans la curieuse situation d'affronter son futur employeur. Chez les fans, le climat peut virer à la suspicion. «Je ne vais évidemment pas baisser le pied la prochaine fois que je jouerai contre Ambri (le 12 décembre), balaie Michael Ngoy. Sinon, le club va se demander quel genre de joueur il a recruté. Et puis, tricher, comment faire? Mettre un tir à côté exprès ou laisser passer mon adversaire, impossible. Nous sommes des professionnels.»
Situation bouillante
Ueli Schwarz n'en doute pas une seconde, mais pointe les enjeux: «Pour le joueur, la pression est énorme. Il risque sa réputation. Dès qu'il va commettre une erreur, les supporters vont se dire que c'est parce que son coeur est déjà parti.» Délicate pendant la saison régulière, la situation devient chaude en playoffs et bouillante dans la lutte contre la relégation. A la fin de la saison 2004-2005, le LHC de Michael Ngoy a rencontré Fribourg-Gottéron, où il avait signé, au deuxième tour des playouts. «C'était le pire des scénarios. Je me faisais siffler dès que je ratais une passe, alors que je n'ai pas triché du tout. J'ai l'impression que certains supporters m'en veulent encore. Quand je reviens jouer à Lausanne, j'entends des sifflets.»
Effet collatéral d'un mode de fonctionnement qui n'est pas prêt de changer. «Il est accepté par les clubs, estime Ueli Schwarz. Parfois vous y gagnez, parfois vous y perdez. Le système n'est pas sans défaut, mais quand vous prenez en compte tous les éléments du hockey suisse, vous obtenez ce résultat.»