«Les Portugais sont champions. S’ils ont gagné ce tournoi, c’est qu’ils le méritent. Après, on peut toujours discuter de la manière dont ils jouent mais ça reste efficace et il faut les féliciter.» Pour le gardien des Bleus Hugo Lloris comme pour ses coéquipiers et leurs supporters, la défaite en finale de l’Euro (1-0 après prolongations, but d’Eder) était difficile à accepter. Tout plaidait en faveur d’un succès de l’équipe de France dans son jardin, à Saint-Denis. Ses triomphes à domicile à l’Euro 1984 et au Mondial 1998. Ses performances depuis le début du tournoi (meilleure attaque avec treize buts marqués). La forme de ses leaders (Antoine Griezmann, six buts pendant le tournoi dont cinq à partir des huitièmes de finale).

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L’alignement des planètes semblait parfait, à un petit détail près: depuis le début, la compétition affichait un visage singulier, une logique propre. Et la finale remportée dimanche soir par le Portugal résume parfaitement toutes les grandes tendances observées en un mois intensif de football.

La marque de l’Atletico Madrid

La fin de l’efficacité du jeu de possession à l’espagnole, qui a permis à la Roja de remporter un Mondial et deux Euros entre 2008 et 2012, est un thème récurrent depuis quelques années. A la Coupe du monde 2014, les champions du monde en titre avaient été éliminés dès le premier tour, mais l’Allemagne – qui allait lui succéder – prolongeait son influence en ajoutant à sa palette tactique une capacité à changer de rythme pour mener des attaques très directes. Cet été en France, les équipes qui gardaient le ballon n’ont pas nécessairement gagné, à l’instar des Bleus en finale (53% de possession de balle). L’équipe de Suisse en sait aussi quelque chose. Elle a eu le ballon 55% du temps ou plus lors de chacune de ses quatre rencontres, ce qui n’a pas empêché son élimination en huitièmes de finale contre la Pologne (5-4 aux tirs au but).

Sans avoir une des meilleures équipes mais en jouant bien regroupé et en lançant des contres, Diego Simeone a mené les Colchoneros en finale de la Ligue des champions.

Elargi à 24 équipes, l’Euro accueillait de nombreuses équipes peu habituées aux grands rendez-vous. Elles ne nourrissaient pas l’ambition de soulever le trophée Henri Delauney promis au vainqueur, mais clairement celle de traverser le tournoi sans être ridicule. Et elles ont fait d’un football sans prise de risque le paradigme de l’été. «Je vois là la marque du succès récent de l’Atlético Madrid. Sans avoir une des meilleures équipes mais en jouant bien regroupé et en lançant des contres, Diego Simeone a mené les Colchoneros en finale de la Ligue des champions. Forcément, ça a donné des idées à toutes les petites équipes de l’Euro», estimait l’ancien attaquant international Nestor Subiat dans Le Temps, après le premier tour.

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Conséquences: les stars les plus attendues ont eu mille peines à briller dans le ciel de l’Euro. Tout un symbole, la blessure et la sortie dès la 25e minute de jeu de Cristiano Ronaldo – qui n’avait pas quitté le terrain une minute jusqu’alors – n’ont pas empêché le Portugal de remporter le premier titre majeur de son histoire. Décisif lors de la demi-finale contre le Pays de Galles, l’attaquant du Real Madrid avait été plutôt en retrait jusque-là. Il y a quelques exceptions au relatif mutisme des footballeurs européens les plus en vue du moment, dont le très remarqué Antoine Griezmann (six buts, meilleur joueur du tournoi aux yeux de l’UEFA) ou Gareth Bale. Mais l’ailier du Pays de Galles a moins fait l’unanimité par ses trois buts que parce qu’il s’est mis corps et âme au service de son équipe

Le paradoxe viking

A l’instar du Portugal en finale, de nombreuses formations se sont montrées bien organisées, solidaires, patientes et dures au mal. Les équipes d’Islande, d’Irlande du Nord et de République d’Irlande ont, par leur vaillante résistance opposée aux «grandes» équipes, offert à ce tournoi de belles histoires. Elles ont été reçues de manière assez paradoxale par les amateurs de football, qui d’un côté se prenaient de passion pour les besogneux «Vikings» de Reykjavik tout en regrettant de l’autre un Euro trop fermé, trop défensif, pas assez enlevé.

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«Parfois, il faut savoir être pragmatique pour gagner un match. Nous aimerions jouer de façon plus spectaculaire, mais ce n’est pas toujours de cette manière que vous gagnez un tournoi», déclarait le sélectionneur du Portugal Fernando Santos après le huitième de finale chichement gagné par son équipe contre la Croatie (1-0 après prolongations). Ses protégés ont enchaîné avec une qualification via les tirs au but contre la Pologne, puis une victoire contre le Pays de Galles en demi-finale. La seule acquise par les Portugais en 90 minutes lors de l’Euro 2016. Au premier tour, ils avaient concédé trois matches nuls (1-1 contre l’Islande, 0-0 contre l’Autriche, 3-3 contre la Hongrie) qui ne laissaient en rien présager de leur succès en finale.

Mais au cours de la compétition, les surprises se sont succédé, la loi des séries a été mise à mal et les bookmakers ont dû s’en arracher les cheveux. L’Euro 2016 a rappelé que le football est un sport qui se joue à onze contre onze et qu’à la fin, on ne sait jamais vraiment qui va gagner.