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Powell, Bolt, surhommes façon Nietzsche

Sans engendrer de record du monde, la 33e cuvée du meeting lausannois restera exceptionnelle. Grâce à Usain Bolt vainqueur sur 200 m, et surtout à Asafa Powell le fauve blessé, 2e chrono de tous les temps au 100 m (9''72).

Sur le stade d'échauffement proche de celui de la Pontaise, on imagine qu'Usain Bolt commença à s'énerver sur le coup de 20h50. Heure où il apprit incidemment que son compatriote et rival Asafa Powell venait de boucler le 100 m en 9''72. C'est-à-dire à trois minuscules centièmes de son propre record du monde, et au passage deuxième chrono de l'histoire de l'épreuve reine de l'athlétisme. Powell l'avait affirmé lundi devant la presse: seulement 5e à Pékin, il voulait sa revanche, à distance ou non.

Promesse tenue. Jusqu'à ce que Bolt, trente minutes plus tard, batte Powell à l'applaudimètre (100% contre 98) et se lance tel un guépard égratigné dans le virage de son demi-tour de piste. Silence religieux au départ avant l'explosion de la ligne droite, standing ovation, 19''63, 4e perf de tous les temps, course coupée à 20 m de l'arrivée. Le géant jaune (et vert) a répondu.

N'empêche, le surhomme de la soirée s'appelle Powell. Surhomme qui, avec Bolt, confère une dimension quasi nietzschéenne à cette acception. Pourvu que les foules en délire devant leurs exploits ne se retrouvent pas au tapis, un jour futur où une sordide analyse viendrait détruire le mythe.

Entre-temps, un certain Dayron Robles avait raté son pari de réaliser un exploit retentissant sur 110 m haies. Accroché puis désuni dès les 80 mètres, le médaillé d'or et recordman du monde dut subir le retour gagnant de son dauphin pékinois, l'Américain David Oliver. Le temps? 13''02. Presque médiocre. Le Cubain aux lunettes fashion, désappointé, a d'ailleurs coupé sa course avant la ligne (13''17).

Pour le reste, les héros devaient être fatigués. Réaction physiologique normale, même pour des sportifs surentraînés, suite aux énormes efforts consentis sous les «tropiques» pékinois à l'occasion des JO 2008. Malgré l'ampleur du plateau lausannois hier soir, même les spécialistes les plus émérites en convenaient, appuyés dans leur propos par les résultats - bons mais pas fantasmagoriques - du meeting de Zurich, six jours après l'ultime feu d'artifice (informatisé?) de la capitale chinoise.

Le stade de la Pontaise, encore engourdi par la chaleur, s'éveilla donc doucement. Avec les modestes 50''47 de la vice-championne olympique jamaïcaine du 400 m, Shericka Williams, les 11''02 sur 100 m d'une autre ressortissante de l'île du reggae, Shelly-Ann Fraser, médaillée d'or au mois d'août. Ou encore les 3'32''83 sur 1500 m - pas mal quand même - d'un Kényan «assimilé» par le Bahrein et qui porte désormais le patronyme de Yusuf Saad Kamel.

Et puis, le ton est monté. Grâce à LaShawn Merritt, star pékinoise avérée, 43''98 sur le tour de piste. Grâce au saut en hauteur homme où quatre concurrents ont franchi les 4m32. Grâce à Delloreen Ennis-London sur 100 m haies (12''60), victorieuse, à la régulière, de la championne olympique Dawn Harper et de la favorite Lolo Jones, laquelle avait trébuché sur l'avant-dernier obstacle à Pékin. Et hop, toutes les étoiles dans le sac des perdantes, ficelé, tiens, par une Jamaïcaine. La très souriante Harper n'a guère de quoi se rassurer: elle risque de demeurer la hurdleuse aurifère dont personne ne se souviendra, parce que la supervedette de la discipline a chuté. Voir le drame muet de la Grecque Voula Patoulidou à l'issue des Jeux de Barcelone 1992, la planète entière ne se rappelant que du malheur de Gail Devers sur l'ultime haie...

Le ton est monté, oui, jusqu'à cette folle demi-heure où éclatèrent un 100 m, et un 200 m d'ogres affamés sur le tartan amélioré d'Athletissima 2008, 33e du nom, qui offrait 30 médaillés olympiques, dont 17 en or, à ses 14000 fidèles.