A vingt kilomètres de Salzbourg, dans le petit village de Fuschl-am-See, Red Bull élabore ses desseins planétaires. Longtemps associée aux sports extrêmes, la firme autrichienne de boisson énergétique, fondée en 1984, élargit aujourd'hui sa cible marketing. Parallèlement à son engagement en Formule 1, via l'écurie Red Bull Racing, l'entreprise du sexagénaire Dietrich Mateschitz a racheté, en avril 2005, le SV Austria Salzbourg, impudemment rebaptisé Red Bull Salzbourg. «Les consommateurs de notre boisson sont devenus adultes. Il était nécessaire d'intégrer les sports de masse à notre stratégie marketing», explique Dietrich Mateschitz, patron visionnaire, dans les colonnes de la NZZ.
Les prérogatives de Red Bull vis-à-vis du club de Salzbourg dépassent largement le rôle de sponsor. L'entreprise autrichienne a choisi de prendre totalement en charge les destinées sportives de son équipe. Signe de cette mainmise absolue, les antiques tricots violets à l'effigie du club ont été remplacés par des maillots rouges, frappés du taureau de la marque. L'opposition d'une poignée de supporters ultras, attachés corps et âme à leurs armoiries, n'aura pas pesé lourd face à la puissance financière du géant autrichien, dont le chiffre d'affaires annuel a dépassé les trois milliards de francs. Avec un budget annuel de 75 millions de francs, Red Bull Salzbourg s'est hissé, sans réelle concurrence, en tête de la Bundesliga autrichienne.
Qu'importe, c'est sur la scène européenne que le taureau ambitionne de briller. Objectif avoué: une place parmi les dix meilleures équipes d'ici à cinq ans. Dietrich Mateschitz, qui ne fait rien à moitié, a soigné le recrutement, y compris sur le banc de touche, où Giovanni Trapattoni et Lothar Mathäus forment un duo prestigieux (lire ci-dessous).
Non content de renforcer son implantation locale, via le football, Red Bull s'est lancé un défi insolite, en mars de cette année, en rachetant le club des Metrostars de New York. «Nous pensons que le soccer est sur le point d'émerger aux Etats-Unis, y compris médiatiquement. Les quatre sports principaux que sont le baseball, le basketball, le hockey sur glace et le football américain souffrent d'une baisse d'audience continue. Le soccer va en profiter et nous souhaitons contribuer à son développement. Notre objectif à moyen terme est de remporter le titre. Dans les rangs des Red Bull New York, ce n'est autre que l'ex-international français Youri Djorkaeff qui tient la vedette.
Rebaptiser un club reste une démarche isolée dans le monde du football. Les grands championnats européens, tout comme le championnat suisse, n'autorisent pas cette pratique, contrairement à la Ligue autrichienne et à certains pays de l'Est. En Ligue des champions, Red Bull Salzbourg redevient SV Salzbourg, le règlement de l'UEFA stipulant que les clubs ne peuvent se référer au nom d'un partenaire commercial. Dans d'autres sports, notamment le basketball et le volleyball, cet usage est monnaie courante pour attirer des capitaux. En Ligue italienne de basket, toutes les équipes sont affublées du nom d'un sponsor. La Suisse s'y met aussi, où Benetton Fribourg Olympic fait office de pionnier.
«La démarche de Red Bull n'est pas complètement nouvelle. Dans les années 80, le Matra Racing (ndlr: équipe de foot de D1 française) était déjà le club d'un comité d'entreprise. La société avait obtenu une dérogation de la ligue, se souvient Alain Ferrand, professeur de marketing sportif à l'Université de Lyon. «Red Bull profite de la législation sportive en vigueur en Autriche. La firme table sur le fait que les médias et le public associeront progressivement son nom au club de foot de Salzbourg. Comme la société a son siège dans la région, il y a une logique territoriale à cette opération, qui présente aussi des risques. Les sponsors traditionnels conservent un avantage de taille, note le professeur, celui de pouvoir se retirer plus facilement si les résultats ne suivent pas.»
Au-delà des apparences, la stratégie de Red Bull s'inspire de celle d'autres mécènes. «Plus que le nom de l'équipe, c'est l'implication du sponsor principal dans la gestion opérationnelle du club qui détermine sa véritable influence», affirme encore Alain Ferrand. «Le rôle de Canal+ au Paris Saint-Germain a toujours dépassé celui de simple sponsor. Les dirigeants de la chaîne cryptée ont eu une part prépondérante dans la prise de décision stratégique.»
Même constat à l'AC Milan, téléguidé depuis la société Fininvest du président Silvio Berlusconi, ou au FC Chelsea, aux mains du milliardaire russe Roman Abramovitch. Si ces grands clubs conservent leurs patronymes légendaires, c'est aussi parce qu'ils jouissent d'une identité très forte, à laquelle les sponsors rêvent d'associer leur nom. Tout le contraire, en somme, de feu le SV Austria Salzbourg, complètement absorbé, lui, par la marque de boisson gazeuse.