«Le ING Renault F1 Team ne contestera pas les récentes allégations de la FIA concernant le Grand Prix de Singapour 2008. L’écurie indique également que son directeur général, Flavio Briatore, et son directeur exécutif de l’ingénierie, Pat Symonds, ont quitté l’écurie.»

Renault avait jusqu’à hier soir pour présenter sa ligne de défense en vue du prochain Conseil mondial de la FIA (la Fédération internationale de l’automobile) qui jugera, mercredi prochain, l’«affaire» du Grand Prix de Singapour. Par ce communiqué de deux lignes, publié hier après-midi, l’écurie dit renoncer à se défendre, avoue la tricherie et annonce le licenciement de ses deux dirigeants. Un bouleversement total par rapport à la ligne adoptée jusqu’ici, qui consistait à nier les faits et accuser le pilote Nelsinho Piquet de diffamation.

La FIA menait l’enquête depuis plus d’un an au sujet de l’accident du Brésilien au Grand Prix de Singapour. Les aveux du pilote, le 28 juillet dernier, suivis avant-hier, par les aveux du directeur technique, Pat Symonds, ont poussé les avocats de Renault à renoncer à toute défense. Mercredi, Renault sera donc jugé en l’état, plaidant coupable d’avoir truqué le résultat du Grand Prix.

Comment en est-on arrivé là?

Pour Renault, la saison 2008 tournait au cauchemar. Titré en 2005 et 2006, Fernando Alonso était parti chez McLaren en 2007 pour revenir au sein de l’écurie française. La saison se passait mal, la Renault n’était pas compétitive, et les rumeurs voulaient que le constructeur, la crise économique s’annonçant, hésite à rester en F1.

Dans ce contexte, Renault avait absolument besoin d’un résultat. Désespérés, les deux dirigeants de l’écurie, Flavio Briatore et Pat Symonds, ont donc eu l’idée de demander à leur deuxième pilote, Nelsinho Piquet, d’écraser sa voiture contre un mur au cours du Grand Prix de Singapour, afin de favoriser Fernando Alonso.

Un plan parfaitement réussi, puisqu’il n’a causé aucun blessé – un spectateur ou un pilote aurait pu être touché par des débris –, et puisqu’il a permis la victoire de l’Espagnol. Dommage collatéral, il a aussi modifié le cours du championnat, puisque son exécution a finalement fait pencher le titre en faveur de Lewis Hamilton au détriment de Felipe Massa.

Les soupçons

Dès le soir du Grand Prix de Singapour, de nombreux observateurs avaient soulevé l’étonnant concours de circonstances qui avait permis à Fernando Alonso de remporter l’épreuve. Qualifié 15e seulement, l’Espagnol avait choisi une stratégie «suicidaire» consistant à ravitailler le premier, au 12e tour. Sur un circuit urbain où tout dépassement s’avère impossible, cette tactique avait relégué le double champion du monde à la dernière place au 13e tour, après son ravitaillement.

Pour que cette stratégie fonctionne, la course devait être neutralisée par la voiture de sécurité entre le 13e et le 15e tour, c’est-à-dire avant le ravitaillement des adversaires de Fernando Alonso. L’accident de Nelsinho Piquet s’est produit précisément au 14e passage, au virage numéro 17, là où aucune grue ne pouvait dégager l’épave, et où les organisateurs n’avaient d’autre alternative que de neutraliser l’épreuve.

L’accident lui-même incitait aux soupçons: Nelsinho Piquet avait tapé le mur de béton à un endroit sans grande difficulté de pilotage et en accélérant visiblement beaucoup trop fortement.

Les preuves du forfait

C’est le 28 juillet dernier, deux jours après le Grand Prix de Hongrie, que Nelsinho Piquet a fait ses aveux aux enquêteurs de la FIA. Il venait d’être licencié et remplacé par Romain Grosjean, ce que le jeune Brésilien a vécu comme une trahison.

Nelsinho Piquet a donc décrit en détail comment Pat Symonds lui avait expliqué comment causer son accident, choisissant précisément l’endroit et le moment du forfait. Pour étayer les affirmations du Brésilien, la FIA dispose des relevés télémétriques de sa voiture: au moment de l’impact contre le mur de béton, on peut y voir très clairement que le pilote appuie sur l’accélérateur à fond au moment où sa machine commence à glisser de l’arrière. Le réflexe normal, lorsqu’une monoplace se dérobe, consiste à lever le pied pour la rattraper. La télémétrie prouve, outre ses aveux, que Nelsinho Piquet a provoqué l’accident délibérément.

Pourquoi Nelsinho Piquet a-t-il accepté?

A Singapour, l’écurie Renault est logée à l’hôtel Ritz-Carlton, l’un des plus huppés de la capitale et idéalement situé dans l’enceinte du circuit. Le matin de la course, l’un des ingénieurs japonais de l’écurie Toyota s’est retrouvé dans l’ascenseur en même temps que Nelsinho Piquet. Ce dernier était accroupi, prostré dans un des coins, en pleurs. Le jeune Brésilien savait la mission qui l’attendait quelques heures plus tard. Sur la grille de départ, il s’est montré particulièrement nerveux. Sur le moment, chacun a mis cet état sur le compte des rumeurs qui voulaient son remplacement par le pilote-essayeur de l’écurie, Romain Grosjean, dès le Grand Prix suivant.

Finalement, Nelsinho Piquet n’a pas été remplacé en 2008. Contre toute attente, son volant a même été confirmé en 2009. Un maintien en place qu’il devait certainement à son accident de Singapour. On se demande donc pourquoi Flavio Briatore l’a licencié, fin juillet dernier, alors que le Brésilien partageait ce terrible secret. Sans doute son patron croyait-il le pilote incapable de se dénoncer.

Qui est Flavio Briatore?

Dans les paddocks des circuits de Formule 1, Flavio Briatore se posait (il convient désormais de l’évoquer à l’imparfait) comme l’une des personnalités les plus hautes en couleur, mais aussi les plus controversées du milieu.

Propriétaire de plusieurs restaurants à Londres, d’une fameuse discothèque sarde, le «Billionnaire Club» (le club des milliardaires), et actionnaire du club de football «Queen Park Rangers» avec ses amis Bernie Ecclestone (le détenteur des droits commerciaux de la F1) et Lak­shmi Mittal, le flamboyant Italien fait régulièrement la couverture des magazines. Fiancé au mannequin Naomi Campbell, puis à Heidi Klum, avec laquelle il aurait eu un enfant, le play-boy s’est finalement marié à Elisabetta Gregoraci, un autre mannequin, de 30 ans sa cadette. Sa vie semblait se dérouler comme un conte de fées. Son licenciement d’hier constitue sans aucun doute un revers pour l’Italien, mais sa fortune étant assurée depuis longtemps, il devrait continuer de briller dans le monde de la nuit.

Que va-t-il se passer?

L’enquête de la FIA étant bouclée, et Renault ayant décidé hier de ne pas se défendre, le Conseil mondial va décider mercredi prochain de la sanction appliquée à l’écurie. Dans l’histoire du sport automobile, jamais une affaire aussi grave ne s’était encore produite, et on peut s’attendre à une sanction exemplaire.

Le week-end dernier, à Monza, Max Mosley, le président de la FIA, a évoqué une exclusion de la F1 «à vie» pour la marque française. A moins que, les deux responsables du forfait désormais éliminés, la marque s’en tire avec une amende ou un sursis.