La Russie devait, avant le 1er janvier, autoriser des experts de l’Agence mondiale antidopage (AMA) à accéder aux données du laboratoire de Moscou, dans le but d’identifier les sportifs russes dopés et protégés par l’ancienne agence russe antidopage (Rusada). Cela n’a pas été fait, et la direction de l’AMA semble avoir été une fois de plus trompée par les autorités russes qui, depuis bientôt dix ans, tournent en ridicule l’agence basée à Montréal.

En septembre, de façon inattendue, l’AMA avait pourtant réintégré la Rusada, revendiquant «flexibilité» et «pragmatisme». Ce geste concrétisait le retour en grâce de la Russie dans le sport international moins de trois ans après les premières sanctions pour son système de dopage institutionnel. En échange, le Ministère des sports s’était engagé à autoriser l’accès à son laboratoire aux experts, puis à fournir tous les échantillons jugés suspects.

Déjà, à l’époque, des acteurs du monde de l’antidopage avaient dénoncé une «trahison», et prévenaient que l’AMA s’était fait berner. «Je suis extrêmement déçu que l’extraction de données depuis l’ancien laboratoire de Moscou n’ait pu être faite avant la date convenue», a réagi Craig Reedie, le président britannique de l’AMA dans un communiqué publié le 1er janvier.

L’appel de la Rusada à Vladimir Poutine

Une première réunion avec le Ministère des sports russe, le 28 novembre 2018, à Moscou, avait défini les conditions de la mission de récupération de ces données scientifiques, grâce auxquelles les fédérations internationales, notamment de sports d’hiver, pourraient enfin sanctionner des athlètes russes. Mais, le 17 décembre 2018, les experts repartaient bredouilles du laboratoire: l’équipement technique devant permettre l’extraction des données n’était pas «conforme à la législation russe». Une question qui n’aurait pas été abordée lors de la réunion préparatoire.

Un jeu étrange s’est déroulé ces derniers jours à Moscou. Le 24 décembre, le ministre des Sports, Pavel Kolobkov, a assuré que les inspecteurs de l’AMA étaient les bienvenus dès le lendemain. Le 27, le président de la Rusada, Iouri Ganous, considéré comme un interlocuteur de confiance par l’AMA, s’adressait à Vladimir Poutine dans un message vidéo: «Nous nous trouvons au bord du gouffre, et je vous demande de défendre le présent et le futur d’un sport propre en Russie», plaidait-il, dénonçant des «entraves» et prévenant qu’une nouvelle suspension de la Rusada conduirait à «l’auto-isolement sportif de la Russie». «Beaucoup des inquiétudes soulevées sont infondées», avait répondu le Kremlin le lendemain, évoquant le «travail en cours» entre Moscou et l’AMA… sans pour autant qu’une nouvelle visite ait lieu.

En théorie, la Russie risque gros, et elle le sait. Depuis avril 2018, l’AMA s’est munie d’un code prévoyant des sanctions précises en cas de non-conformité. Jusqu’en septembre, la Russie était non conforme sous un précédent régime, plus flou. La solidité juridique et la sévérité du nouveau code étaient les principaux arguments brandis par les partisans d’un accord avec la Russie.

Une possible suspension des Jeux olympiques

La question des données retenues par les Russes est qualifiée de «critique» par le comité exécutif de l’AMA, soit le plus haut degré de gravité dans le nouveau standard de conformité. A cela correspondent des sanctions fortes, à commencer par la non-participation aux prochains Jeux olympiques de Tokyo; même si les textes prévoient que des sportifs puissent concourir sous drapeau neutre, comme ce fut déjà le cas des Russes lors des JO d’hiver de Pyeongchang en 2018.

Le 2 janvier au matin, cette escalade restait très hypothétique. En effet, le Comité indépendant de conformité (CRC) de l’AMA ne prévoit pas de se réunir avant le 14 janvier, et l’agence se dit toujours disposée à envoyer ses experts au laboratoire de Moscou. Comme si le délai du 31 décembre, sur lequel l’AMA insistait avec force il y a trois mois, était soudain devenu accessoire. Comme si les évidences prononcées à l’époque par Craig Reedie – «Si les autorités russes ne respectent pas ce délai, la Rusada sera de nouveau déclarée non conforme» – étaient aujourd’hui sans objet.

Une absence de réaction immédiate de l'AMA

«Tout cela sent mauvais, dit au Monde David Howman, directeur général de l’AMA de 2003 à 2016. Tout ce que le CRC avait besoin de faire, c’était une conférence téléphonique le 1er janvier pour arriver à la conclusion qui s’impose. Je ne vois pas l’intérêt d’attendre pour recommander la non-conformité de la Rusada, à moins qu’il y ait une sorte d’accord que nous ignorons et qui donne à la Russie un délai supplémentaire. C’est comme si quelqu’un avait établi une nouvelle règle donnant aux Russes un peu plus de temps, ce qui me semble contradictoire avec la décision de septembre.»

Les opposants à Craig Reedie, notamment l’Agence américaine antidopage (Usada), ont sévèrement jugé l’absence de réaction immédiate de l’AMA, qu’ils estiment désormais décrédibilisée. «La situation est totalement risible et ridiculise l’AMA et la communauté antidopage», a estimé le président de l’Usada, Travis Tygart.

Si elle était déclarée non conforme, la Russie pourrait contester devant le Tribunal arbitral du sport cette décision ainsi que les conséquences qui en découlent. La crédibilité de la lutte antidopage serait alors entre les mains de cette instance d’arbitrage réputée proche du Comité international olympique (CIO). Dans son mot du Nouvel An, le président du CIO, Thomas Bach, a fait comprendre sa position en une ligne: «Avec sa suspension des Jeux de Pyeongchang, le Comité olympique russe a purgé sa peine.»