Si le parcours éclatant du FC Zurich de Lucien Favre la saison dernière a révélé la beauté du sport, terrassant la machine à gagner rhénane dans son antre au terme d'un match comme on les aime, la troisième mi-temps du derby hérisse encore les poils de la plus haute instance du football suisse. Qui, alors qu'elle mitonnait l'Euro 08 au moyen d'une loi dite «anti-hooligans», a été amenée à riposter. La Ligue accouchait donc, au soir du 14 juillet 2006, d'une série de mesures sécuritaires. Un nouveau-né dont l'état de santé est actuellement très préoccupant, au point que beaucoup souhaitent le voir trépasser.

Car le texte agace. Qui vise-t-il? Toutes les formations de Super League, ainsi que les matches jugés à risques par le club qui reçoit ou par la SFL (Swiss Football League) en ce qui concerne la Challenge League. Que dit-il? Les supporters visiteurs doivent décliner leur identité au club de leur cœur afin d'obtenir un billet, et ce avant même le jour du match. Une fois le sésame en poche, les visiteurs seront accompagnés de surveillants dépêchés par leur équipe, responsables du bon déroulement de l'arrivée des fans. Sur place, les caméras de surveillance mobile nouvellement installées se chargeront encore un peu plus de dissuader les audacieux.

«L'ambiance est toujours si calme à Tourbillon?» s'interrogeait Sanel Kuljic, la nouvelle recrue sédunoise, au sortir de la première période du match contre Lucerne, le samedi 22 juillet, ponctuée pourtant de quatre buts, dont trois en faveur des Valaisans. Tifo, chants, gestuelles, la panoplie du supporter croupissait dans les locaux de tous les groupes ultras du pays, qui témoignent d'une solidarité extraordinaire depuis la reprise du Championnat de Suisse, jusqu'au dernier week-end encore. Grèves de plusieurs minutes, voire d'une mi-temps, tribunes vides, récurrence de réunions et communiqués officiels, le mouvement d'opposition ne s'essouffle pas.

Et les kops, comme à leur habitude, donnent de la voix: «On nous a assuré que le fichage fait par le club ne sortait pas de celui-ci. Quel intérêt, alors?» se demande David, 26 ans, l'un des membres fondateurs du groupe sédunois Red Side 96. «Les supporters du FC Sion proviennent de tous les cantons, certains habitent au fond d'une vallée et n'ont pas la possibilité de retirer leur billet quelques jours avant un match à l'extérieur.»

Souci de coordination, d'éthique aussi, alors que tous ne sont pas logés à la même enseigne: «En sortant de notre premier match à Zurich, face à GC, une vingtaine de hooligans guettaient. Ils ne sont pas entrés au Hardturm et n'ont pas eu à décliner leur identité. Eux ne seront pas inquiétés», déplore David, fâché de ce qu'il considère comme des mesures abusives: «Comme de coutume, les personnes visées et celles touchées sont radicalement différentes.»

Des gradins aux tribunes, il n'y a qu'un siège. Dont celui du président, Christian Constantin, qui souligne la disproportion et l'inutilité de certaines de ces mesures «entraînant des surcoûts. L'année passée, le club a déboursé soixante mille francs d'amendes en raison des agissements de quelques supporters. Cela équivaut à la moitié des abonnements. Ajoutez les règles de sécurité exigées par la Ligue, et on aboutit à plus de trois cent mille francs de surcoûts.»

Outre-Sarine, même son de cloche. Stefan Niedermaier, directeur du Stade de Suisse à Berne, ne décolère pas. Suite au premier match de la saison entre les Young Boys et le FC Bâle, les «Rotblau», fustigeant les nouvelles règles de conduite adoptées par la Ligue, se sont rangés à côté du secteur qui leur était affecté, se soustrayant ainsi à tout contrôle d'identité. A quelques rangées d'eux, des supporters bernois, dans un climat bien loin de celui, sécuritaire, proclamé par la Ligue. Stefan Niedermaier a donc «arrangé» un autre secteur visiteurs. Les dépenses engendrées par cette «farce» sont considérables, et le directeur du stade de la capitale adressera la facture à la SFL: «Nous avons eu des dizaines de réclamations de fans bernois à qui nous avons envoyé des lettres d'excuses, regrette-t-il. On évalue à un peu moins de dix mille francs le surcoût nécessaire pour le déplacement des Bâlois ce soir-là.»

Au-delà du contenu, c'est un système qui a déjà perdu sa crédibilité qu'organisateurs et spectateurs se voient contraints d'observer. Alors que les fans du FCZ se targuaient d'avoir envahi le Breite (Schaffhouse) sans contrôle d'identité, les supporters du FC Sion qui retiraient leurs billets aux abords du Brügglifeld (Aarau) le faisaient auprès de représentants valaisans plutôt indulgents. Peter Stadelmann, président de la SFL, s'explique: «Les nouvelles mesures de sécurité ont été adoptées par tous les clubs. Maintenant, il faut œuvrer pour les bonifier. Nous devons ouvrir le débat, car il est primordial de résoudre le problème de la violence dans les stades, une question complexe qui existe depuis des années. Un terrain d'entente doit être trouvé à l'échelle nationale.» Ainsi, vendredi, la Ligue a promis qu'elle procédera à certains ajustements. Lesquels? Mystère.

Le jour du coup d'envoi du championnat, l'instance dirigeante dévoilait une publicité à l'attention du public: «Nous venons de vivre une Coupe du monde paisible. Réjouissons-nous maintenant d'un Championnat de Suisse pacifique.» Trois rondes plus tard, le pacifisme est respecté. C'est le moyen de protestation choisi par un peuple amoureux du football.