Son nom est Alberto Murray Neto, 43 ans, petit-fils de Sylvio de Magalhaes Padilha – lui-même membre brésilien influent du CIO de 1964 à 1995. Docteur en droit, M. Neto dirige un cabinet international, fonctionne comme juge au Tribunal arbitral du sport et fut un membre éminent du Comité olympique brésilien de 1996 à 2008, année où il affirme en avoir été éjecté en raison de son discours anti-Rio 2016.
Scandale financier
Voici ce qu’on peut lire dans sa missive: «Je prends la liberté de vous inviter à ne PAS voter pour Rio de Janeiro. Si les Jeux panaméricains de 2007 ont révélé un scandale financier majeur, pouvez-vous imaginer ce que les mêmes personnes feront avec les Jeux olympiques? […] La candidature de Rio ne dit pas la vérité dans son dossier. Les comptes des Jeux panaméricains sont contestés par les Cours fédérales compétentes […] Via l’ordonnance 117/2009 de la Cour fédérale d’audit [document également en notre possession], le Comité olympique brésilien et le Ministère des sports font l’objet d’une procédure civile pour usage abusif d’argent public.»
On nage donc en pleine corruption. La Cour d’audit parle de 1,4 million de dollars fictivement dépensé dans des affaires de surfacturations. Elle relève aussi que le processus des soumissions n’a pas été respecté, toutes les entreprises sur les rangs ayant été écartées au profit du seul Consórcio Internacional, lequel a encaissé 16 millions de dollars lors de la candidature en vue des «PanAm Games». Dans une décision rendue en juin, la Cour a ordonné que cet argent soit reversé au Trésor public.
Un drame social
Joint hier par téléphone à Rio, Alberto Murray Neto précise ses motivations à l’intention exclusive du Temps. «Nous avons trop de problèmes sociaux dans ce pays pour nous permettre de dépenser de pareilles sommes en vue des JO [le projet de Rio reviendrait à 14,4 milliards de dollars, soit le double des autres villes]. Des milliers de gens meurent de faim, les hôpitaux sont dramatiquement sous-équipés, on ne compte plus les sans-abri. Si le gouvernement veut injecter des fonds dans le sport, ce doit être à la base, pour donner une chance à tous les Brésiliens, pas pour une velléité olympique. Les Jeux panaméricains ont été un fiasco financier, on ne va pas recommencer!»
Son acte sera-t-il vraiment efficace? «J’espère que les membres du CIO prendront conscience que je parle vrai. J’ai le soutien écrit de certains d’entre eux, mais j’ignore si la majorité me suivra.»
«Alors, que faire?»
Au fil de sa lettre, M. Neto évoque aussi l’insécurité qui règne au cœur de sa cité: «A Rio, le nombre de meurtres augmente chaque année.» Constat hélas véridique: selon la dernière statistique de l’ISP (Instituto de segurança pública), 2759 assassinats ont été commis durant les cinq premiers mois de 2008, soit une augmentation de 12,3% par rapport à la même période de 2007.
Les réactions à cette lettre n’ont pas tardé. Sur le site sportcal.com, le comité de candidature de Rio répond: «M. Murray Neto se situe hors du mouvement sportif brésilien, tandis que 85% du peuple soutient notre projet, d’après un sondage commandé par le CIO [LT du 26.09.2009].» Et de l’accuser de régler un conflit personnel avec Carlos Nuzman, président de Rio 2016.
Croisé dans le lobby de l’hôtel Marriott de Copenhague, un membre africain du CIO – qui ne veut pas être identifié – balaie l’argumentaire de Neto: «Tout ça ne veut rien dire. Les habitants de Rio seront heureux d’accueillir les Jeux.» Un autre, Asiatique, tempère: «Cela donne à réfléchir.» Mais évidemment, lui, il votera Tokyo.
Et puis, il y a René Fasel, membre suisse du CIO au titre de président de la Fédération internationale de hockey sur glace: «Chaque fois, je croule sous les messages m’incitant à ne pas accorder ma voix à telle ou telle ville, pour des motifs de corruption, de finances ou de défense de l’environnement. La FIFA a donné le Mondial de foot à l’Afrique du Sud, pays qui a évidemment besoin d’autres équipements que des stades. En même temps, les gens veulent rêver à travers le sport, véritable opium moderne du peuple. C’est clair que l’argent de Rio 2016 pourrait contribuer à résoudre le problème des favelas. Mais la population brésilienne désire la Coupe du monde de foot [elle l’aura en 2014] et les Jeux. Alors, que faire?»