Voilà quelques années que se dispute, lors de chaque compétition de freeride, le match des anciens et des nouveaux. Ceux qui se revendiquent de la «old school» sont sensibles à la pureté des lignes tracées dans les faces, à la vitesse du ski ainsi qu’à la capacité à arpenter l’arête du risque maximal. Les jeunes qui déboulent année après année au plus haut niveau respectent ce répertoire classique mais aiment le décorer de figures, de rotations, de sauts périlleux. Dénaturation de l’identité originelle de la discipline, pestent les uns. Evolution naturelle voire, «augmentation», répondent les autres.

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Le sens de l’histoire est pourtant clair. Reporté en raison de la météo, l’Xtreme de Verbier, s'il peut se disputer cette année, sacrera les champions du Freeride World Tour, édition 2023, mais la «new school» a gagné son match contre la tradition. Les éléments de style aériens se sont imposés sur les pentes abruptes comme les voix «autotunées» dans le rap: au grand dam des «puristes» mais de manière inexorable. Constat posé l’an dernier déjà à Verbier par «Lolo» Besse, un des juges de longue date du circuit: «Les jeunes formatent le Freeride World Tour à leur manière. De fil en aiguille, les sauts et les rotations se sont imposés dans la discipline. Aujourd’hui, ils sont presque devenus obligatoires.»

La preuve par le leader de la catégorie snowboard hommes, le Français Ludovic Guillot-Diat, qui affiche 37 ans mais se balade avec un whole bag of tricks, «un sac plein de figures», comme on le dit dans la langue qui prévaut dans le milieu. En ski, Valentin Rainer a pris la tête du classement avant la grande finale en triomphant à Fieberbrunn, dans son Autriche natale, au bout d’un run cumulant «deux back-flips et deux 360°», comme le martèle la chaîne YouTube du Freeride World Tour, histoire de bien mettre en évidence ce qui a fait la différence: le raffinement de ses passages dans les airs.

«Je trouve ça trop bête»

Il y a, dans l’évolution générale du style vers davantage de figures, un contexte structurel, comme nous le faisait remarquer «Lolo» Besse en 2022: «Les conditions difficiles nous ont menés vers des faces moins extrêmes et plus joueuses qui ont apparemment plu aux freestylers.» Vrai, valide Max Palm, actuel huitième du classement ski hommes: «Le manque de neige de ces dernières saisons a contraint les responsables à nous envoyer sur des faces très faciles. Elles poussent à «trickser», car si tu t’y contentes de sauts tout droits, cela devient franchement ennuyant à skier et à regarder.»

Le Suédois de 20 ans, qui a vécu toute sa vie en France, se trimballe une réputation de casse-cou et voudrait bien avoir l’occasion de se mesurer aux faces plus raides qui prévalent lorsque les conditions le permettent. Mais il ne nie pas l’évolution de la discipline et se reconnaît de cette «nouvelle école» qui a bousculé les codes établis. Sans comprendre, toutefois, que les gens en fassent toute une histoire, dans le milieu, sur les réseaux sociaux, dans les médias.

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«Ceux qui ragent en disant que ce n’est plus le Freeride World Tour mais le Freestyle World Tour ou qu’on a travesti notre sport… Pffh, je trouve ça trop bête. Le sport évolue, c’est tout. Avant, tout le monde sautait droit, maintenant on arrive à placer des figures en plus, pourquoi on s’en priverait? Cela amène des variations, c’est plus beau à voir.»

Meilleures infrastructures

Comprend-il les «anciens» qui ont l’impression que tous les «kids» qui débarquent sur le Freeride World Tour ont le même style? «En fait, nous sommes tous issus d’une génération qui a appris très tôt à faire des figures. Les riders plus âgés n’avaient pas les mêmes infrastructures que nous, tous les snowparks, les trampolines, les airbags [des coussins de réception pour s’entraîner sans risque], les skis à grosses spatules… Nous avons profité de tout ça et les figures nous viennent naturellement. Pour moi, c’est plus simple de gérer un 360° qu’un saut droit, je suis plus en maîtrise.»

En début de saison, l’Espagnol Aymar Navarro – qui se revendique de la «old school» – regrettait dans Le Temps l’impossibilité de régater, avec un style classique, contre les freestylers de la nouvelle école. Avec des lignes qu’il considère comme moins engagées, mais des sauts périlleux et des «tricks», il serait possible de brûler les étapes et de s’imposer très vite.

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Ce n’est pas l’Autrichien Max Hitzig qui va dire le contraire. L’an dernier, trois semaines seulement se sont écoulées entre sa toute première compétition de freeride, dans un circuit de seconde catégorie à Nendaz, et sa première victoire sur le Freeride World Tour à Fieberbrunn. «Ça a été une vraie surprise que le style que je développais dans mon coin puisse avoir autant de valeur aux yeux des juges, confie-t-il. Mais effectivement, mon approche correspond à celle qui est apparue puis s’est imposée ces cinq dernières années.»

Profils variés

En quelques mots? «J’évite les pentes les plus raides, je préfère choisir des barres rocheuses qui permettent de réaliser de belles figures.» Exactement ce qui agace une ancienne école… qu’il admire pourtant sincèrement – comme si le groupe de rap PNL se disait nostalgique d’IAM et NTM. «Ce que font les riders old school, c’est vraiment dingue, j’aime les regarder. Skier des pentes aussi raides, aussi vite, avec des aussi gros sauts… Il n’y a pas de place pour la peur dans leur approche. La mienne présente un défi technique, mais moins de danger.»

L’essentiel, philosophe Max Hitzig du haut de ses 20 ans et de sa quatrième place actuelle sur le Freeride World Tour, est que sa discipline reste synonyme de liberté. La diversité des profils de ceux qui y brillent suggère que c’est le cas à l’heure actuelle. L’Autrichien n’a jamais fait de compétition – à part en football – avant de subjuguer le monde du freeride: il a tout appris aux côtés de son père guide de montagne, qui l’a emmené hors-piste dès l’âge de 6 ans.

Max Palm est aussi issu d’une famille de montagnards – père guide, mère freerideuse, oncle pionnier de la discipline en Suède – mais il a débuté par le ski alpin avant de se rendre compte que sa créativité était bridée entre les piquets de slalom. Le champion du monde en titre Maxime Chabloz est lui un brillant touche-à-tout, qui fut triple médaillé d’or des Mondiaux juniors de kitesurf freestyle avant de se consacrer sérieusement au freeride. La catégorie ski femmes est de son côté dominée, avant l’Xtreme de Verbier, par la Canadienne Justine Dufour-Lapointe, championne olympique de ski de bosses en 2014 à Sotchi et qui vit sa première saison sur le Freeride World Tour.

De l’ancienne ou de la nouvelle école, chacun sera seul samedi au sommet du Bec des Rosses, avec son courage et un bag of tricks plus ou moins garni.