Comme un écho au titre d'Urs Lehmann
Sofia Goggia, immense favorite du jour, était plus ou moins dans le coup mais elle n'a pas maîtrisé sa grande vitesse, partant à la faute sur la dernière portion du parcours. Lara Gut-Behrami est restée loin du compte, reléguée à 0'71. Quand elle est arrivée dans la raquette d'arrivée, un sourire illuminait son visage. Elle a immédiatement cherché Jasmine Flury du regard, comme pour lui dire: «C'est ton jour, et ça fait plaisir.»
Il y a derrière cette médaille d'or plusieurs belles histoires. La première: cette victoire surprise intervient trente ans jour pour jour après celle, tout aussi imprévue, d'Urs Lehmann lors de la descente des Championnats du monde de Morioka, au Japon. Désormais président de Swiss-Ski, et bien sûr présent à Méribel, l'homme a dû revivre un bout de sa propre histoire en voyant Jasmine Flury chavirer de l'incrédulité à la circonspection, puis à un bonheur indescriptible. Après le passage de quinze concurrentes et des principales prétendantes au podium, des larmes ont commencé à couler sur les joues de la la championne. Elles ne s'étaient pas taries au moment de monter sur le podium et d'adresser quelques mots au public, assez nombreux autour de l'aire d'arrivée.
Deuxième belle histoire: ce podium partagé par deux Suissesses qui sont davantage que des coéquipières - des amies proches. Du duo, Corinne Suter est largement la plus célèbre, avec ses désormais six médailles collectées entre les Jeux olympiques et les Championnats du monde. On connaît beaucoup moins Jasmine Flury.
Un village de champions
Elle vit sa septième saisons au plus haut niveau, mais ne compte qu'une victoire en Coupe du monde: un super-G à Saint-Moritz en 2017. De manière assez incroyable, aucune Grisonne n'avait avant elle réalisé pareil accomplissement, et de nombreuses skieuses terminent leur carrière sans y parvenir. Mais pour une Suissesse, c'est un peu court pour devenir une véritable star nationale connue de tous - même si quelques journalistes alémaniques nous soufflent qu'elle jouit d'une jolie notoriété outre-Sarine, où elle est appréciée pour sa gentillesse et son parcours sans frasque. Bien sûr, sa victoire ce samedi 11 février 2023 la fait entrer dans une nouvelle dimension.
La dixième championne du monde suisse de la descente a grandi à Monstein, un petit village situé à proximité de Davos qui compte 200 habitants mais avaient trois représentants aux derniers Jeux olympiques de Pékin: Jasmine Flury bien sûr mais aussi les skieurs de fond Valerio Grond et Jason Rüesch. Ce dernier est une sorte de frère de coeur pour la skieuse alpine. Le père de l'une et la mère de l'autre forment un couple depuis qu'ils sont petits.
Dans un long et bel article de la Neue Zürcher Zeitung, écrit depuis la Chine en février 2022, le duo raconte une enfance heureuse et sportive dans les montagnes. Il n'y a pas de téléski au village, mais une nature à exploiter de mille manières. L'hiver, tout le monde contribue à l'aménagement de la patinoire sauvage.
Jason Rüesch insiste auprès du journaliste Benjamin Steffen sur le «courage» qui caractérise sa presque-soeur. Courage pour s'élancer comme une folle à l'assaut d'une piste de ski ou d'une pente en VTT. Courage de croire en ses chances dès l'adolescence, quand elle a renoncé à entreprendre un apprentissage pour se consacrer à son sport. Courage de se relever de tous les coups durs qui émaillent forcément une carrière d'athlète. Jasmine Flury a notamment connu une saison blanche en raison de problèmes à une hanche.
Avant la descente des Mondiaux encore, elle a connu une préparation perturbée par la maladie, ne retrouvant sensations et énergie qu'à partir de jeudi. Depuis, elle a senti la confiance monter petit à petit. Samedi, elle s'est levée dans l'optique de profiter d'une piste qu'elle apprécie et d'une neige qui lui convient. Elle-même était loin de se douter qu'elle terminerait la journée avec une médaille d'or autour du cou.