Aucun superlatif ne pourrait être de trop. Magnifique skieur, incroyable athlète, remarquable personnalité, Marco Odermatt est champion du monde de descente. Il a triomphé dimanche de l’épreuve reine de son sport sur la piste de l’Eclipse, à Courchevel, pour glaner à 25 ans seulement le dernier titre majeur qui manquait à un palmarès déjà riche d’un grand globe de cristal de vainqueur de la Coupe du monde et d’une médaille d’or olympique. Le garçon peut désormais laisser aller les skis; sa place dans l’histoire de sa discipline est assurée.

A la suite de plusieurs jours de déconvenues rageantes, le ski suisse avait abordé le week-end en baissant la tête. Il le termine en bombant le torse après un incroyable doublé, le succès d’Odermatt faisant écho à celui de Jasmine Flury la veille. «Un grand moment dans notre histoire, applaudit le président de Swiss-Ski, Urs Lehmann. Combien de fois la Suisse a-t-elle décroché l’or mondial de la descente chez les hommes et chez les femmes la même année?»

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Quelques fois quand même: en 1934, 1970, 1972, 1985 et 1987. Mais ce n’était effectivement plus arrivé depuis le triomphe des Mondiaux de Crans-Montana, apothéose d’un âge d’or auquel la dynamique actuelle fait écho – même si le bilan de la quinzaine en cours n’approchera pas le record éternel de 14 médailles dont 8 titres. «Je maintiens ce qui était notre message avant la première course: nous avons des athlètes capables de monter sur le podium dans chaque épreuve», insiste Urs Lehmann. A Courchevel et Méribel, sept titres restent à distribuer, dans les disciplines techniques, jusqu’au dimanche 19 février.

Prestation impeccable

Marco Odermatt sera le grandissime favori du slalom géant vendredi, d’autant plus qu’il abordera la course libéré de la pression de rater ses Mondiaux, fort d’une médaille d’or de la descente qui suffit en soi à réussir une carrière. Après son échec à monter sur le podium du super-G, beaucoup d’observateurs le pensaient sous pression, pour une fois, lui l’imperturbable dominateur de la saison de Coupe du monde (8 victoires et 15 podiums après 28 des 39 courses au programme). Il a répondu de la plus belle des manières en décrochant la toute première descente de sa carrière à haut niveau, au bout d’une prestation impeccable de bout en bout.

Son seul vrai rival à l’heure actuelle, le Norvégien Aleksander Aamodt Kilde, est resté à 0’48, un écart important en ski alpin. Le Canadien Cameron Alexander a signé la petite surprise du jour en s’emparant du bronze. Cette dernière médaille a longtemps paru à la portée du Valaisan Justin Murisier, retenu in extremis pour la course lors de sélections internes à l’équipe de Suisse et décidément à l’aise sur la neige de Courchevel. Il a malheureusement égaré de précieux dixièmes de seconde sur le bas de la piste pour échouer au douzième rang, à égalité avec le Zurichois Niels Hintermann. Le Fribourgeois Alexis Monney, enfin, a terminé au 18e rang.

Dès le matin, c’est bien sur Marco Odermatt que se portait toute l’attention. La piste, surtout dans sa seconde moitié très tournante, semblait taillée pour ce grand polyvalent à l’incomparable bagage technique. Comme à son habitude, il a pris énormément de risques dans sa trajectoire, tout en affichant une maîtrise étonnante: les portions où les skis des autres «tapaient» étaient dévalées en toute fluidité. Chaque temps de passage dévoilait une avance un peu plus confortable sur les concurrents déjà passés. Le phénomène franchissait la ligne d’arrivée comme un boulet de canon, hurlant sa joie de la prestation propre et du résultat promis.

Le «Federer du ski alpin»

«Dès le début de ma manche, j’ai senti que cela se passait bien, a-t-il raconté quelques heures plus tard. En arrivant en bas, je savais que j’avais réalisé une très bonne performance. Mais on ne sait jamais ce que les autres vont faire. Quand j’ai vu Aleksander [Kilde], qui est le meilleur descendeur du monde à l’heure actuelle, échouer à près d’une demi-seconde, je me suis dit que ça allait peut-être être mon jour…»

«Chaque victoire est différente, mais celle-ci figure parmi les plus belles de ma carrière, avec ma médaille d’or olympique en géant à Pékin et mes deux succès à Adelboden», ajoutait-il.

Dans la raquette d’arrivée, tous les athlètes lâchaient de bonne grâce un mot au sujet du vainqueur du jour, qui semble faire l’unanimité par sa simplicité et sa sympathie. «Pour moi, Odermatt est le Federer du ski, osait le Français Johan Clarey (23e). Il y a beaucoup de «machines» dans l’histoire de notre sport, mais peu de génies. Lui, c’en est un vrai.»

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Rapportée à l’intéressé, la comparaison a suscité un petit sourire gêné. «Federer a accompli beaucoup plus de choses que moi, a souligné Odermatt. Mais j’essaie de suivre son exemple en matière d’humilité et de respect des autres athlètes. Sur ce plan-là, j’espère être comme lui.»

«J’aimerais dire que je déteste Marco…»

Plus sobrement, Justin Murisier saluait «la force mentale» de son coéquipier, avec lequel il avait fait la reconnaissance de la piste le matin. «Il aborde cette descente avec la frustration de ne pas avoir gagné de médaille lors du super-G, et il trouve les ressources de faire une manche parfaite, commentait le Valaisan. Respect à lui. Il a toujours cette tranquillité, cette capacité à se dire que ce n’est qu’une course normale…»

«Avoir un sportif de ce niveau, une personnalité de cette qualité, c’est un cadeau pour une fédération sportive, renchérissait le président de Swiss-Ski Urs Lehmann, qui fut lui aussi champion du monde de descente (en 1993). Un tel cadeau, il faut le chérir, en prendre soin.»

Même Aleksander Aamodt Kilde est d’accord: «J’aimerais dire que je déteste Marco parce qu’il me prive de succès que je visais, mais non, je l’apprécie, car notre duel nous tire vers le haut tous les deux. En plus, je crois que nous sommes deux bons types, humbles, respectueux, ça me donne le sourire que cela se passe comme ça. J’espère que cela perdurera jusqu’à la fin de ma carrière.»

Agé de 30 ans, cinq de plus qu’Odermatt, Kilde prendra vraisemblablement sa retraite sportive plus tôt. A moins que le petit prodige ne se lasse de ne plus rien avoir à gagner? «En théorie, c’est vrai que j’ai désormais remporté chacun des titres majeurs, réagissait l’intéressé. Mais gagner une première fois invite à gagner encore.» Et il n’a pas encore triomphé des descentes mythiques de Wengen et Kitzbühel. Selon Beat Feuz, champion du monde de la spécialité en 2017, ce sont là les véritables sommets d’une carrière de skieur.