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Le rachat du Freeride World Tour éveille un souvenir traumatique

Le passage de la discipline sous l’égide de la FIS a fait jaser une partie du milieu de la glisse. Peut-être épidermique, cette réaction est due à une mauvaise expérience vécue entre les snowboarders et la fédération faîtière il y a 20 ans

Alors qu'une guerre scinde les acteurs de sa discipline en deux camps – pro et anti JO –, le Grison Gian Simmen sera sacré champion olympique aux Jeux de Nagano en 1998. (KEYSTONE/Alessandro della Valle) — © ALESSANDRO DELLA VALLE / KEYSTONE
Alors qu'une guerre scinde les acteurs de sa discipline en deux camps – pro et anti JO –, le Grison Gian Simmen sera sacré champion olympique aux Jeux de Nagano en 1998. (KEYSTONE/Alessandro della Valle) — © ALESSANDRO DELLA VALLE / KEYSTONE

«Vous vendez votre âme au diable.» C’est en substance par ces termes que l’annonce du rachat du Freeride World Tour (FWT) par la Fédération internationale de ski et de snowboard (FIS) faite jeudi passé a été accueillie sur les réseaux sociaux.

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Effectuée, si on en croit les paroles de Nicolas Hale-Woods, le directeur du FWT, dans le but d’améliorer le statut des athlètes du milieu du freeride et d’envisager un avenir olympique pour la discipline, cette transaction suscite malgré tout la méfiance de certains acteurs du monde de la glisse. Outre les «ça craint», «c’est dingue» et «ça pue», des internautes regrettent déjà une époque de liberté révolue, un futur dénué de créativité et annoncent donc la ruine d’un sport «pourtant si beau».

Un contexte différent

Ces réactions épidermiques ne surprennent pas Nicolas Hale-Woods. «Les réseaux sont essentiellement l’écho des mécontents.» Mais (Car) l’homme sait toutefois d’où ce courroux provient. «Il remonte à la fin des années 1990 lors de l’intégration du snowboard au sein de la FIS.» S’il assure que le contexte autour de la fédération faîtière est aujourd’hui différent, lui-même garde un souvenir maussade de cette époque.

Pour comprendre, il faut remonter au début des années 1980, lorsque le snowboard apparaît dans le paysage alpin, comme un punk dans une soirée mondaine. Sur les pistes, piqués d’adrénaline, les adeptes du snowboard vont non seulement vite, ils prennent aussi toute la place en dessinant de vastes courbes à travers les boulevards. Cette façon d’aborder la montagne incarne une nouvelle culture dont les racines tirent leur jus de la liberté et de l’anticonformisme. A l’époque de la godille à ski, elle est rapidement perçue comme un doigt d’honneur à l’ordre établi sur les pentes enneigées et suscite le rejet.

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«Le snowboard a été considéré comme trop dangereux, se souvient Darius Heristchian, ancien professionnel de la discipline aujourd’hui consultant pour la RTS. Par endroits, on l’a interdit. Les tensions que sa venue a créées sur les pistes ou dans les stations se sont retrouvées au sein des fédérations.»

Proposition balayée

Dans les années 1990, pour fédérer ses adeptes, le milieu du snowboard organise des compétitions. «Le but de ces épreuves était surtout de se rencontrer entre pairs, reprend l’ancien pro. De là sont nées des fédérations.» Il y a d’abord eu la National Association of Professional Snowboarders. En 1990, l’International Snowboard Federation (ISF) prend le relais afin d’assurer des compétitions et un arbitrage fait «par et pour les snowboarders». Au fil des ans, cette dernière se tourne vers sa vieille cousine, la FIS, dédiée uniquement au ski, pour lui proposer une collaboration.

«C’était en 1997, se remémore Nicolas Hale-Woods. Cette demande a été balayée par Gian Franco Kasper, le président de la FIS de l’époque qui avait organisé sa propre Coupe du monde de snowboard dans la perspective de faire entrer la discipline aux JO.» A la tête de l’ISF lors de cette déconvenue, Bertrand Denervaud, aujourd’hui juge sur le Tour, se souvient: «Kasper nous avait prévenus qu’il investirait jusqu’à ce que notre fédération meure.» C’est ce qui s’est passé.

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En 1998, le snowboard fait son entrée aux Jeux olympiques et l’ISF met la clé sous la porte, laissant aux adeptes de la discipline un goût amer en bouche. Certains, à l’image du Norvégien Terje Haakonsen choisissent de demeurer fidèles à leur philosophie. Loyauté ou caprice de star? Quoi qu’il en soit, préférant rester indépendants et libres, ils boycottent les Jeux et créent leur propre tour, le Ticket To Ride (TTR). D’autres en revanche choisissent de voir ce que les cinq anneaux leur réservent. Pour le Suisse Gian Simmen, ce sera une médaille d’or à Nagano.

Choisir son camp

«Les riders devaient choisir leur camp et donc défendre leurs valeurs, relève Darius Heristchian. Soit tu décidais que seuls tes pairs pouvaient te noter et tu restais, soi-disant, fidèle à ton milieu. Soit tu te disais que tu voulais finalement aussi être vu par tes parents à la télévision et tu allais rider aux Jeux. Tout compétiteur rêve d’olympisme. Evidemment, cela a créé des conflits dans le milieu.»

Aujourd’hui, bien que cette «guéguerre» fasse partie de l’histoire ancienne, des reliquats demeurent, comme en témoignent les réactions sur les réseaux sociaux suite au rachat du FWT. «Le contexte est cependant différent, précise Nicolas Hale-Woods. Nous avons, avec Johan Eliasch, le nouveau président de la FIS, instauré un dialogue sein. Sa fédération veut réunir toutes les forces du ski et du snowboard et voit dans le freeride une façon de rajeunir son audience. Il a assuré ne rien vouloir changer à notre produit car il est conscient que le freeride est établi sur des bases solides.»

Il faut dire que la plupart des riders contactés par téléphone ne se montrent pas aussi critiques que ce que traduisent les réseaux sociaux. «Tout porte à croire que cette alliance est prometteuse, soutient Bertrand Denervaud. Rien que le fait que les jeunes bénéficieront d’un statut d’athlète plus reconnu est une belle chose. Quant au reste, l’avenir nous le dira. La FIS devra sans doute s’adapter au freeride et faire preuve de plus de flexibilité.» Les temps changent.