La Suisse au sommet d’un Cirque blanc assommé
Ski
Les finales de la Coupe du monde, qui devaient se dérouler dans une région italienne très touchée par le coronavirus, n’auront pas lieu. La saison se terminera de manière frustrante mais elle aura été exceptionnelle pour les athlètes suisses: le Grison Mauro Caviezel remporte le globe de cristal

Un peu moins d’une année avant d’accueillir les Championnats du monde de ski alpin, la station italienne de Cortina d'Ampezzo devait organiser les finales de la Coupe du monde du 18 au 22 mars. Mais au fur et à mesure que le coronavirus se propageait dans le nord de l’Italie et que les annulations de manifestations sportives s’accumulaient, il apparaissait plus inéluctable que la boom de fin d’année du Cirque blanc passe également à la trappe.
La Fédération internationale de ski (FIS) a commencé par imaginer un huis clos, mais elle a fini par se résoudre, vendredi, à une décision beaucoup plus radicale: l’annulation pure et simple. «En raison de l’absence d’alternative pour organiser un événement d’une telle ampleur et qui ne comporte pas de restrictions de voyage pour permettre à tous les athlètes de participer et de voyager après l’événement», l’instance a par ailleurs renoncé à déplacer ses finales dans une autre station.
La saison 2019-2020 de ski alpin se terminera donc dimanche 15 mars après les épreuves masculines de Kranjska Gora (géant, slalom) et féminines d’Are (slalom parallèle, géant, slalom). Elle laissera bien sûr un sentiment général d’inachevé. Mais dans le camp suisse, elle restera comme un triomphe. Pour la première fois depuis 1989, après trois décennies de domination autrichienne, le drapeau rouge à croix blanche flotte au sommet du Cirque blanc. La retraite du métronome Marcel Hirscher joue bien sûr un rôle dans l’histoire. Mais il n’y a pas que ça.
Des talents en pagaille
La Suisse a cette année pu s’appuyer sur une délégation performante dans pratiquement toutes les disciplines, étirée entre de jeunes loups qui pointent à maturité et de vieux lions qui n’ont pas fini de rugir. A l’annonce de l’annulation des finales de Cortina d'Ampezzo, et avant même le départ de la descente de Kvitfjell (Norvège) dont il a pris le quatrième rang, Beat Feuz (33 ans) savait qu’il allait remporter son troisième globe de cristal consécutif dans la discipline reine. Avec deux victoires et sept podiums en neuf épreuves, le Bernois a montré qu’il demeurait un skieur extraordinaire.
Mais il n’est pas le seul. Après des années de galères et de doutes, Corinne Suter s’est révélée comme une des meilleures spécialistes de vitesse de la planète en remportant les deux globes de cristal de la descente et du super-G. Mauro Caviezel (31 ans) a signé la meilleure saison de sa carrière en faisant preuve d’une régularité de métronome. L’annulation du super-G de Kvitfjell, ce dimanche, lui permet d’emporter, comme Didier Cuche, il y a neuf ans, le globe de cristal de la discipline à la maison.
Le slalomeur Daniel Yule a réalisé une saison extraordinaire ponctuée, à ce jour, de cinq podiums dont trois victoires. Lara Gut-Behrami (28 ans), après deux ans de disette, a aussi retrouvé le chemin de la victoire lors des épreuves de Crans-Montana. Et Marco Odermatt, diamant brut de la discipline, a continué d’aiguiser ses lattes au plus haut niveau en attendant un triomphe que beaucoup d’observateurs lui promettent…
Lire aussi: Lara Gut-Behrami et la complexe équation de la simplicité
Tous ces athlètes, et d’autres encore, se sont entraînés les uns les autres dans une dynamique vertueuse. Le ski alpin est une discipline éminemment individuelle, où les «coéquipiers» suisses sont surtout des concurrents dans le portillon de départ. Mais au fil de la saison et alors que la perspective de battre l’Autriche se matérialisait, un véritable esprit de groupe est né.
La possibilité d’une nation
Plusieurs athlètes nous l’assuraient à l’occasion des épreuves de Crans-Montana. «Je mentirais si je disais que c’est ce qui me motive lorsque je vais m’élancer, souriait Wendy Holdener. Mais sinon, c’est vrai que cela nous pousse tous à nous dépasser.» Michelle Gisin développait: «Tout le monde nous parle du bilan global de l’équipe de Suisse, et on se prend au jeu. On regarde davantage les courses des mecs. On ressent plus de tension lorsqu’on voit les autres skier. C’est vraiment sympa car de manière générale, en ski, c’est chacun seul face à ses résultats. Et là, il y a vraiment cette idée de nation qui s’est imposée.»
«Quand je ne suis pas dans le top 30, ce n’est pas une bonne journée, même s’il y a des Suissesses devant moi, reconnaissait Lara Gut-Behrami avant de signer ses deux succès de la saison. Mais après, je suis contente car je sais qu’il y a beaucoup d’athlètes qui ont engagé toute leur vie pour aller sur le podium et elles méritent que cela finisse par fonctionner.» C’est comme si les bons résultats des un(e)s avaient nourri les succès des autres. «Cette année, il y a beaucoup de Suisses qui ont skié mieux que jamais auparavant», remarquait Michelle Gisin.
Lire aussi: Les promesses tenues de Corinne Suter
C’est sans doute ce qu’il restera de la saison 2019-2020 lorsque le coronavirus ne sera plus qu’un mauvais souvenir.