Au bout de l’épreuve masculine de skicross, les trois médaillés partagent le même sourire, à défaut d’arborer le même métal autour du cou. Ce n’est pas si fréquent sur un podium olympique: il en est souvent qui regrettent de ne pas avoir l’or. Là, le Russe Sergey Ridzik (troisième) semble aussi heureux que le Canadien Brady Leman (premier). «Si je suis content? Mec, c’est les Jeux olympiques! Et j’ai gagné l’argent! Bien sûr que je suis content!» dira en zone mixte l’Appenzellois Marc Bischofberger (le deuxième), qui apporte une huitième médaille au butin de la délégation suisse.

Ces trois hommes savent qu’ils sont les survivants d’un jeu de massacre appelé skicross où le meilleur ne l’emporte pas toujours. La technique et le sens tactique ne résistent pas forcément aux contacts et à l’imprévisibilité des trajectoires. La discipline, apparue au programme olympique en 2010 à Vancouver, emprunte au ski alpin le matériel et la neige comme terrain de jeu. Mais dans l’esprit, elle tient davantage du motocross (les sauts et la concurrence pour emprunter les bonnes lignes), du hockey (les contacts) voire de la joute chevaleresque (le principe de tournoi par élimination successive).

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La tradition des têtes brûlées et gueules cassées du ski suisse

Têtes brûlées et gueules cassées du ski suisse y ont développé une tradition d’excellence depuis le titre inaugural de Mike Schmid au Canada voilà huit ans. En Coupe du monde, Marc Bischofberger emmène le classement général, Alex Fiva est troisième. Armin Niederer et Jonas Lenherr y ont déjà remporté des épreuves. Si la Suisse pouvait réaliser le premier triplé de son histoire olympique aux Jeux de Pyeongchang, c’était ce mercredi matin sur la terrible piste de Bokwang Phoenix Park, ses 17 sauts, ses chicanes, ses mouvements de terrain.

«Mais attention, prévenait l’entraîneur Ralph Pfäffli, en skicross on ne peut pas calculer les médailles qu’on est censé gagner. L’Autriche peut peut-être le faire avec Marcel Hirscher parce qu’il maîtrise la plupart des paramètres d’une épreuve: il est seul en piste. Dans notre sport, tu peux juste être un candidat au podium. Et pour moi, il y en a 32 au départ.»

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Chutes et fractures

Ils s’affrontent par séries de quatre depuis le stade des huitièmes de finale, pour remonter un tableau comparable à celui d’un tournoi de tennis. Sous le soleil de la mi-journée coréenne, le rêve d’un triplé helvétique s’envole dès la manche de répartition que chaque skieur dispute seul. Les Suisses réussissent un joli tir groupé (1er, 4e, 9e et 13e temps) qui les place tous dans la même moitié de tableau. Au mieux, ils pourront se retrouver pour une demi-finale 100% helvétique. Deux au maximum accéderont à la finale.

Cela commence bien: Alex Fiva et Marc Bischofberger remportent leurs huitièmes de finale avec aisance, tout à leur glisse, évitant contacts et frayeurs. Armin Niederer et Jonas Lenherr sont au départ de la quatrième série. Le premier prend rapidement les commandes tandis que le second semble distancé. Par la grâce de folies que lui seul s’autorise, il refait son retard et gagne la deuxième position avant les trois derniers sauts. «Cette piste est très sélective mais elle offre beaucoup de possibilités de dépasser, racontera-t-il plus tard. Là, je me suis rendu compte qu’il y avait la place même si, effectivement, j’ai pris beaucoup de risques…»

D’autres ont moins de réussite que lui. Les chutes spectaculaires s’enchaînent. Le programme prend du retard à la suite de la fracture du tibia du Français Terence Tchiknavorian. Le Canadien Christopher Del Bosco vole dans le décor sur l’un des plus gros sauts du parcours, il se cassera le bassin à l’atterrissage. Mais la sortie de piste guette jusque dans les passages les plus anodins: c’est dans une courbe qu’Anton Grimus part à la faute. Quelques instants plus tard, l’Australien passera près de nous. Un colosse de 1m94 et 105 kilos aux cuisses puissantes, bras noueux, taille épaisse et petit air de Sébastien Chabal avec sa barbe noire. Le skicross est un sport de contacts, il faut du courage pour aller au combat, et la carrure pour encaisser les chocs comme les plaquages au rugby.

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Une manche en dessous

A côté, Marc Bischofberger fait petit (1m77), mais costaud. Revoilà la boule de muscles du ski-club d’Oberegg avec Alex Fiva, stature d’ours et barbe rousse, en quarts de finale. C’est peu dire qu’ils ne sont pas ravis de se retrouver à ce stade. «Tu ne prends pas les mêmes risques quand tu skies à côté d’un ami, car tu ne veux pas le mettre en danger», explique l’entraîneur Ralph Pfäffli. Alex Fiva retient son ski. Seul Marc Bischofberger passe le cap. Le deuxième quart de finale est fatal à Jonas Lenherr. Armin Niederer, lui, semble le plus rapide de tous les athlètes.

Mais cela ne suffit pas: en demi-finale, c’est Marc Bischofberger qui parvient à se faufiler en deuxième position derrière Brady Leman. Armin Niederer se console comme il peut en remportant la course de classement des places 5 à 8. «Aujourd’hui, il était très en forme, constate son entraîneur. Mais c’est classique: sur la longueur d’une compétition, il y a souvent une manche où tu es en dessous. Le défi est d’y survivre.» Raté.

Il ne reste plus que Marc Bischofberger pour sauver l’honneur. Il prend la tête en début de finale mais ne peut résister au retour du Canadien Brady Leman, qui l’a accompagné tout au long du parcours et qu’il n’a su battre qu’en huitièmes de finale. Les deux hommes passent la ligne d’arrivée comme s’ils avaient gagné tous les deux et se tombent dans les bras. Derrière eux, Kevin Drury et Sergey Ridzik ont chuté. Le Russe sera le plus prompt à se relever pour arracher le bronze. Pour ces athlètes, franchir la ligne d’arrivée est une victoire en soi. Ils ne vont pas chipoter sur la couleur de la médaille.

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