La grâce des patineuses artistiques peut occulter une sombre réalité d’abus de pouvoir, d’agressions sexuelles et même de viols. La France l’a découvert ce mercredi dans les colonnes de L’Equipe et de L’Obs, avec les témoignages de plusieurs anciennes championnes décidées à briser l’omerta.

«Un si long silence», c’est précisément le titre du livre que sort cette semaine Sarah Abitbol, médaillée de bronze en couple lors des Mondiaux en l’an 2000. Aujourd’hui âgée de 44 ans, elle y accuse lourdement son ancien entraîneur Gilles Beyer. «Il a commencé à faire des choses horribles, jusqu’aux abus sexuels, et j’ai été violée à 15 ans. C’était la première fois qu’un homme me touchait», révèle-t-elle dans une vidéo sur le site de L’Obs.

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Elle n’est pas la seule à pointer du doigt l’homme, qui fut champion de France en 1978. Hélène Godard (54 ans) affirme elle aussi avoir été contrainte à des relations sexuelles avec lui alors qu’elle avait 13 et 14 ans. Et elle accuse un autre entraîneur du même traitement une année plus tard. Ces cas, graves, ne sont pas isolés. Anne Bruneteaux et Béatrice Dumur affirment aussi avoir été victimes d’abus sexuels dans les années 1980, alors qu’elles avaient 13 ans. «Visiblement, il y avait une espèce de réseau qui n’a jamais rien dit et qui accepte en sous-main des choses inacceptables. C’est à mon avis intolérable», dénonce la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, dans un entretien à L’Equipe.

Le sport fait son #MeToo

Au début des années 2000, sur la base d’un signalement effectué par les parents d’une jeune patineuse, Gilles Beyer a fait l’objet d’une enquête judiciaire qui n’a pas abouti puis d’une procédure administrative qui a conduit à mettre fin à son rôle de conseiller technique sportif auprès de la Fédération française des sports de glace. Mais il a continué à être sollicité pour différents mandats et à travailler au sein du club parisien des Français volants.

Tous les entraîneurs accusés nient les faits ou n’ont pas répondu aux questions de L’Equipe et de L’Obs.

Dans le contexte de la libération de la parole des victimes d’agressions sexuelles entraînée par le mouvement #MeToo, d’autres affaires ont récemment secoué le sport français. Vendredi dernier, l’ancien entraîneur de tennis Andrew Geddes a été condamné à 18 ans de prison pour des viols sur quatre de ses anciennes élèves, mineures. Mercredi, L’Equipe donne aussi la parole à plusieurs anciennes nageuses de haut niveau qui accusent l’entraîneur Christophe Millet d’agressions sexuelles dans le cadre du programme de sport-études de Font-Romeu, dans les Pyrénées, dans les années 1980. A la fin de 2019, une enquête du collectif de journalistes We Report avait mis au jour des «dysfonctionnements majeurs» à différents échelons – fédérations, clubs, collectivités locales, Etat, justice – dans 77 affaires ayant fait au moins 276 victimes, en majorité des enfants de moins de 15 ans, et dans 28 disciplines sportives différentes.

Dans L’Obs, la patineuse Sarah Abitbol dénonce «un silence organisé». «Au fond, tout le monde me disait: prends tes médocs et tais-toi! J’ai obéi: j’ai pris mes médocs et je me suis tue.» Mais aujourd’hui, pour elle comme pour de nombreuses autres victimes, le temps est venu de parler.