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A un mois du début de la nouvelle saison, les clubs professionnels craignent une prolongation de l’interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes qui les plongerait dans une situation économique intenable. Ils tentent de se faire entendre

La saison du football suisse a connu ces dernières semaines un final haletant. Le duel pour le titre entre Young Boys, finalement sacré pour la troisième fois consécutive, et le rafraîchissant FC Saint-Gall. La quatrième place acquise par Servette pour acter son prochain retour sur la scène européenne. Le sauvetage in extremis du FC Sion. Pendant quelque temps, les amateurs de sport ont pu parler… de sport.
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Mais à peine le coup de sifflet final avait-il retenti qu’il a fallu en revenir à des considérations moins légères. Celle du nombre de spectateurs admis dans les stades en vue de la saison prochaine. Qui appelle celle de la survie de l’industrie du sport professionnel dans le pays.
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Les clubs de football et de hockey sur glace, mais aussi les organisateurs de grands événements, se sont lancés dans une entreprise de lobbying – entre conférences de presse, communiqués et lettres ouvertes – pour faire entendre leur point de vue aux autorités. «Rien que le hockey, c’est 4000 emplois en Suisse, pose Laurent Strawson, président du Genève-Servette HC. Il faut se rendre compte de ce qui est en jeu.»
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Sur un fil
Le sport marche sur un fil. Il doit embrasser la primauté des questions sanitaires sur toutes les autres (avec ce qu’elles impliquent de distanciation sociale, de traçage et de précautions en tout genre) alors même qu’il demande d’exploser la jauge de limitation des manifestations. «On peut tout imaginer au niveau du protocole, lançait Patrick de Preux, président du LHC, lors d’une conférence de presse la semaine dernière. Mais si on nous demande de faire une saison complète avec 1000 spectateurs, la messe est dite.»
L’interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes, introduite pour la première fois le 28 février pour… deux semaines, porte jusqu’au 31 août. Mais rien n’indique qu’elle sera levée. Le milieu du sport a été informé qu’elle pourrait même être prolongée, dès la rentrée du Conseil fédéral le 12 août, jusqu’en mars 2021.
Cela signifierait – en plus d’une «deuxième vague» de manifestations annulées – que les tribunes des stades de Super League resteraient très clairsemées jusqu’aux trois quarts du championnat 2020-2021 (qui doit débuter le 11 septembre), tandis que celles des patinoires de National League le seraient au moins pour l’entier de la saison régulière (prévue dès le 18 septembre). Dans ces conditions, plusieurs acteurs estiment que cela ne vaudrait tout simplement pas la peine de commencer.
La logique du pourcentage
«Un match avec 1000 spectateurs seulement nous coûte 60 000 francs, et représente un manque à gagner de 500 000 francs», détaille Matthias Hüppi, président du FC Saint-Gall. De quoi déséquilibrer rapidement le budget de son équipe professionnelle (7,7 millions de francs). «Nous ne pourrions pas fonctionner comme nous le faisons actuellement, avec notre niveau de professionnalisme, les partenariats et les contrats en cours», affirme le directeur général du LHC, Sacha Weibel.
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La part des revenus des «jours de match» (billetterie, hospitalité, alimentation) varie beaucoup d’une structure à l’autre. Exemple à Servette, où elle représente «10% pour l’équipe de football et 40% pour celle de hockey sur glace», note Didier Fischer, président de la Fondation 1890, qui chapeaute entre autres les deux clubs. L’assise financière de l’organisation est solide. Mais Laurent Strawson, président du Genève-Servette Hockey Club, pointe un risque collatéral: «Il y a fort à parier que sans davantage de public, certains clubs ne résisteront pas. Or, nous avons besoin les uns des autres pour présenter un spectacle. C’est pourquoi il faut trouver des solutions concertées, qui permettent à tout le monde d’aller de l’avant.»
Dans leurs prises de position, les clubs insistent sur trois axes. Premièrement, ils souhaitent que la limite du nombre de spectateurs ne soit pas exprimée dans l’absolu (1000, 2000 ou 5000 personnes), mais en pourcentage de la capacité de chaque stade ou patinoire. La Swiss Football League milite ainsi pour un taux de remplissage possible de 50%, qui permettrait par exemple au FC Saint-Gall de jouer devant 9000 personnes environ. «Nous pourrions nous en sortir ainsi», commente Matthias Hüppi.
Une jauge à 100 personnes?
Deuxièmement, les clubs plaident pour que la Confédération laisse une marge de manœuvre aux cantons, afin qu’ils puissent adapter les restrictions au cas par cas, et selon les particularités locales.
Troisièmement, ils soulignent leur capacité à faire respecter des mesures sanitaires strictes. Dans un communiqué, la Swiss Football League parle ainsi de port du masque dans toutes les zones du stade, de l’absence de supporters visiteurs et de la suppression des places debout. D’autres voix évoquent un traçage strict. «Mais il faut se rendre compte que le problème est moins la répartition des gens une fois à leur place que les flux et reflux, souligne Didier Fischer. Nous devons l’anticiper et en tenir compte dans les concepts sanitaires que nous proposerons.»
Cela suffira-t-il? Le monde du sport professionnel suisse se tient prêt à envisager toutes les solutions pour éviter de jouer sur la durée dans un quasi-huis clos qui pourrait être fatal à certains clubs. Mais dans la SonntagsZeitung, le nouveau chef de la task force Covid-19 de la Confédération, Martin Ackermann, agitait lui le spectre d’une nouvelle limitation des rassemblements à… 100 personnes.
Le cas échéant, les amateurs ne sont pas près de reparler de sport.