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Stan Wawrinka, «l'autre Suisse» en pleine lumière

Le Vaudois dispute ce mardi, à l'US Open, son premier huitième de finale en tournoi du Grand Chelem. Pour le monde entier, il est encore un illustre inconnu. Portrait d'un homme de l'ombre.

Si Stanislas Wawrinka était né à un meilleur moment, il ferait aujourd'hui l'ouverture du «19:30» et, bientôt, poserait à côté de son poêle suédois dans la Schweizer Illustrierte. Mais Stanislas Wawrinka est né à 180 km du plus grand joueur de tous les temps; à quatre années d'intervalle. Graine de champion sortie d'une terre fertile, au bord d'une rivière appelée le Talent, et qui, dans l'ombre d'un géant, s'épanouit tranquillement, à son rythme.

Car l'ombre ne dérange pas «Stan le Vaudois»; bien moins en tout cas que les projecteurs du stade Louis-Armstrong qui, dimanche, l'ont livré en pâture à la curiosité des masses, le temps d'une interview surréaliste. Le speaker tente l'analyse à chaud. Lui, écarlate, pas très causant: «I'm happy. Very very happy.» Face à ce halo de gloire qui, brusquement, l'assaille, ses yeux éblouis semblent exprimer l'épouvante d'un chevreuil devant des phares. Tout le monde veut savoir et lui, un peu confus, un peu timide, cherche un endroit où terrer son regard. «Pour beaucoup de gens, je suis le Suisse qui perd», confiait-il, fataliste, à un magazine français.

Ce mardi, Stanislas Wawrinka, 22 ans, ATP 49, disputera à New York son premier huitième de finale en Grand Chelem. Pour y parvenir, il a usé l'Américain Robby Ginepri, dilettante à tendance phallocrate, un peu lourd, un peu vain, passablement gauche. «Au filet, ce type a le touché de Mike Tyson», a persiflé un compatriote.

Cette victoire en cinq sets (5-7 6-4 4-6 6-4 6-4) est la huitième de Wawrinka sur... huit situations identiques en Grand Chelem. Têtu, hargneux, «Stan le Vaudois» a démontré de solides aptitudes à l'affrontement, lui qui, parfois, manifeste des inhibitions face à l'exploit, ou semble si peu en adéquation avec ses prérogatives de compétiteur: souhaiter du mal à autrui.

Sa récente blessure l'a éveillé à la fragilité de sa condition. Il le dit avec ses maux: «Je retrouve peu à peu confiance. Je joue à nouveau pour gagner.» Toute blessure, chez un athlète, laisse une trace et extorque une part d'insouciance. Courir le monde et, brusquement, croupir dans son marasme. Soulever des stades et, en un craquement sec, finir seul dans son sofa, à compter ses amis, l'horizon réduit à des DVD et des séries ploucs. Dans la communauté sportive, une blessure n'est jamais qu'une fracture sociale.

Quand sa cheville gauche s'est tordue, dimanche, après la première balle de match, Stanislas Wawrinka a tressailli. Des clameurs dévalaient du stade voisin, le gigantesque Arthur-Ashe, symbole d'une Amérique «trop grande et trop m'as-tu-vu». Cinquante mètres à peine. Cinquante mètres entre la gloire et l'excellence. Si près, si loin. Ailleurs.

Car lui est né à Saint-Barthélemy, parmi les cinquante Favre qui se poussent du coude dans l'annuaire téléphonique, dont «Lulu le footballeur». Lui a traversé l'enfance sur un tracteur, au milieu des paons, faisans, canards, poneys, bisons. Son père, Wolfram, gère la ferme d'un centre curatif pour personnes handicapées. Palmarès: un titre interscolaire au lancer du boulet. «Au château de Saint-Bar», on pratique une agriculture naturelle, fondée sur la position des astres et des forces du cosmos, selon l'anthroposophie de Rudolf Steiner. Dans ce lopin d'authenticité, loin des exubérances et des vacuités, on cultive le sens du devoir sur trente hectares. Stanislas dit en avoir tiré sa force intérieure: «Les repas de midi étaient pris en commun, je mangeais avec les pensionnaires. A la ferme, j'ai acquis beaucoup de recul par rapport à ce que je vis aujourd'hui. Et la volonté, aussi, la volonté...»

En pleine lumière, sa personnalité s'ouvre doucement, à son rythme. Le verbe fleurit - un peu, beaucoup - le jeu s'épaissit - service, variété des coups -, un jeu développé sur la terre battue espagnole, loin de la filière fédérale. Dans l'ombre.

Wawrinka sait que, même s'il bat Juan Ignacio Chela, ce mardi, son poêle suédois restera moins illustre que la montre de Federer. Les deux hommes vivent dans le même monde, mais 180 km continuent de les séparer. Ils ne partagent pas la vedette, mais leur préparateur physique et, souvent, leurs états d'âme. Des gens de la région ont aperçu «Rodgeur le Bâlois», récemment, à la cantine du «château de Saint-Bar». Dimanche soir, dans la nuit fraîche et mordorée, Lynette Federer a suivi le match aux côtés de la tribu Wawrinka.

Amitié, fraternité, confraternité. Dans Tennis Magazine, «l'autre Suisse» avance prudemment: «Sans être prétentieux, on est des potes. Je crois qu'on peut dire ça.» Federer conseille - «uniquement sur demande» - enhardit, réconforte. «Pendant ma blessure, il a appelé tous les jours.» Federer irradie et Wawrinka s'épanouit. Pourquoi prendre ombrage d'une telle exposition médiatique quand la peau de son propre visage supporte si mal le soleil? «L'aura de Federer est protectrice pour moi. Calme, discret, tranquille timide, ce sont vraiment des mots qui me vont bien. Et la volonté, oui; la volonté...»