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Stéphanie Bodet: Plume des cimes

Grimpeuse d’élite, Stéphanie Bodet remporte le Prix du livre de montagne décerné par le Festival du film alpin des Diablerets avec «A la Verticale de soi»

La grimpeuse Stéphanie Bodet.  — © Thibault Saubusse
La grimpeuse Stéphanie Bodet.  — © Thibault Saubusse

Lorsqu’on la joint, elle marche en bonne compagnie du côté des falaises de Chamonix, savourant le bonheur simple d’être avec des amis dans un décor qui lui est familier. Stéphanie Bodet est douée pour le bonheur, pour la grimpe et la littérature. Ces trois talents sont réunis dans son dernier livre, A la Verticale de soi, aux Editions Paulsen. Paru il y a presque un an, cet ouvrage, préfacé par Sylvain Tesson, n’en finit pas d’être salué et d’aligner les récompenses. La dernière en date étant le Prix du livre de montagne qui a été décerné le 12 août pour la première fois lors du Festival du film alpin des Diablerets en collaboration avec Payot.

Dans le milieu, Stéphanie Bodet est une pointure. Championne du monde d’escalade en bloc en 1999, elle est aussi un crack des big walls, ces parois de plus de 600 mètres d’aplombs et de surplombs aux prises clairsemées autant qu’aléatoires, comme celle d’El Capitan dans le parc de Yosemite aux Etats-Unis, qu’elle a gravie en 2007. La Française est la troisième femme à avoir avalé en libre et en tête cette face géante de 1200 mètres, en quatorze jours, avec le soutien logistique d’Arnaud Petit. Avec cet autre as des à-pics vertigineux, elle forme depuis plus de vingt ans un couple et une cordée de haut vol.

Stéphanie Bodet affiche un palmarès d’escalade qui laisse bouche bée d’admiration ou de frayeur: Tour de Trango au Pakistan (2005), 6240 m, ou encore Salto Angel au Venezuela en 2006. Ce mur de «rocher pourri» parcouru par une chute d’eau de 979 mètres reste une de ses aventures les plus marquantes, «la plus difficile» aussi dans le souvenir de la grimpeuse qui en a fait le récit dans Salto Angel (Editions Paulsen). «L’écriture permet de prolonger le vécu, de le vivre deux fois», confie-t-elle.

La montagne et Montaigne

Si, en paroi, Stéphanie enchaîne les prises avec souplesse et délicatesse, sur papier aussi elle sait déployer un style fluide et précis. Un autre milieu, littéraire celui-là, a accueilli comme une bonne surprise le livre de cette princesse des cimes, qui cite Hegel, Montaigne ou Sainte Thérèse d’Avila, qui emmène Henry Miller en bivouac et garde toujours à portée de main Nicolas Bouvier, qu’elle lit et relit comme un musicien répète ses gammes. La championne d’escalade, qui a été professeur de français, s’est retrouvée à La Grande Librairie, rendez-vous littéraire télévisuel de référence aux côtés de Joël de Rosnay, Hubert Reeves et Francis Hallé, tous sous le charme.

Si j’ai adhéré à quelque chose dans ma vie, c’est à la cause du rocher et à celle des mots

Difficile d’ailleurs de ne pas succomber à ce bout de femme menue, à ce regard rieur, doux et bleu. Si son livre fait mouche et parle à ceux qui usent leurs semelles sur les parois du monde autant qu’à ceux qu’une marche en terrain instable rebute, c’est qu’il est bien plus qu’une autobiographie de championne du vertige. A la Verticale de soi est une lecture qui entre en résonance avec l’expérience de tout un chacun, montagnard ou pas.

Week-end au grand air

Rien ne prédestinait d’ailleurs Stéphanie elle-même à une carrière de grimpeuse de haut niveau. «J’étais asthmatique, fragile, souvent malade.» Elle naît à Gap, dans les Hautes-Alpes, aînée d’un frère et d’une sœur. Le week-end, le père aime sortir sa tribu au grand air, pulls fluo et bob à fleurs. A la télé, la famille Bodet découvre Patrick Edlinger, hippie des sommets, pionnier d’une escalade du bout des doigts. Stéphanie garde de cette enfance un souvenir doux et reconnaissant, y voyant le berceau de ses passions, son goût de l’effort, et l’amour des mots.

Elle a 15 ans, quand une virée au mont Aiguille, dans le massif du Vercors la marque durablement. «Ce fut un éblouissement». A partir de ce moment, elle ne pensera qu’à ça! Grimper. Toucher le rocher. Elle délaisse la flûte à bec (oui, pour une asthmatique c’était audacieux) et intègre le Centre de ressource, d’expertise et de performance sportive (CREPS) d’Aix-en-Provence. A 19 ans, elle rencontre un garçon qui a tout pour lui plaire: Arnaud Petit, 24 ans, prodige des abîmes cotés 8 et au-delà (selon la cotation française en escalade, qui démarre à 1 (facile) et fini à 9 (extrême).

Grimpeuse contemplative

La vie sourit à cette jeune fille promise au meilleur, jusqu’à ce qu’arrive le pire. Un jour de juillet 1996, le cœur de sa jeune sœur, Emilie, 15 ans, cesse de battre, subitement. «C’est triste qu’il faille vivre une tragédie pour entrevoir l’essentiel de nos vies mais c’est ainsi», écrit-elle. Pour Stéphanie, l’essentiel se situe là-haut sur le rocher qui «permet de vous élever au-dessus de vous-même». Elle admet qu’elle grimpe un peu pour sa petite sœur. «J’ai eu le sentiment qu’il fallait que je vive pour deux, un peu plus intensément», confiait-elle sur les ondes de RCF.

Pendant presque vingt ans, elle enchaînera les compétitions et les aventures à la verticale, aux quatre coins du monde, en France, en Chine, au Maroc, à Madagascar.

Aujourd’hui, à 40 ans, elle aspire à moins d’agitation et plus de contemplation, notamment avec la pratique du yoga, et de partage au fil des stages d’escalade qu’elle organise avec son compagnon. Après avoir parcouru les lointains horizons, la Gapençaise est retournée au pays, à Sigoyer, petit village des Hautes-Alpes, au pied de Céüse, un caillou de calcaire célèbre chez les grimpeurs car s’y niche une des voies les plus extrêmes du monde, «Biographie» cotée 9a +.

Pour Stéphanie Bodet, Céüse est la «falaise-source, seuil d’un ermitage, d’un «rêvoir», d’un bonheur tranquille…», qu’elle continue d’agripper avec légèreté et joie, poursuivant dans le même temps son autre voie, celle des lettres. Le prochain livre sera un premier roman. «Je me sens comme une débutante qui s’attaque à une nouvelle paroi, s’enthousiasme-t-elle. Ça commence par la montagne, mais ça finit ailleurs.» Comme souvent avec elle.

A la Verticale de soi, Stéphanie Bodet, Guérin, Editions Paulsen, 2016

En dates:

1976: Naissance à Gap

1995: Rencontre avec Arnaud Petit

1999: Championne du monde de bloc

2007: Gravit El Capitan dans le parc de Yosemite, Free Ride 7c en libre