La Suisse, un pays orphelin de diplomatie sportive?
Sport étude
Si la politique suisse a très tôt pris conscience que le sport «ne devait pas être pris à la légère», la mise en place d’une véritable diplomatie sportive fut un long processus historique, explique l’historien Quentin Tonnerre

Le 10 juin 2018, le peuple valaisan refusait de se lancer dans la course à l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2026. L’histoire de désamour entre le Valais et l’olympisme ne date toutefois pas d’hier. Vingt ans auparavant, la ville de Sion échouait face à Turin pour l’obtention des Jeux olympiques d’hiver 2006. Une affaire de corruption, disaient les uns. Une crédulité toute suisse, affirmaient les autres. A la même époque, l’ancien conseiller fédéral Adolf Ogi manquait son accession au CIO. Sepp Blatter, président de la FIFA, avait alors jugé que la Suisse manquait de cette «diplomatie nécessaire en politique sportive». Mais la Suisse est-elle vraiment ce pays sans diplomatie sportive que l’on se plaît à dépeindre?
«C’est notre drapeau qui flotte sur ces champs de sport»
Dès les années 1920, en lien avec la préparation des Jeux olympiques prévus à Saint-Moritz en 1928, les diplomates suisses considèrent que la renommée du pays passe notamment par le sport. Ainsi, après les défaites répétées de la Nati en Italie, le ministre de Suisse à Rome Georges Wagnière estime-t-il en 1932 que «des manifestations de ce genre ne doivent pas être prises à la légère et que nous ne devons jamais oublier que c’est notre drapeau qui flotte sur ces champs de sport et dans les arènes».
Il en résulte alors une profonde réforme de la préparation de l’équipe nationale de football avant les rencontres internationales, sur demande du Département militaire auprès de l’Association suisse de football (ASF) et de la Fédération suisse d’athlétisme (devenue Swiss Athletics). Cet intérêt de la diplomatie suisse et de l’administration fédérale pour le sport ne va évidemment pas décroître durant la Seconde Guerre mondiale, neutralité oblige. Craignant qu’elles ne viennent perturber sa politique étrangère, le Conseil fédéral exige des fédérations sportives un contrôle sur l’organisation de compétitions en Suisse et sur la participation d’équipes suisses lors de rencontres à l’étranger.
Neutralité et business
En période de guerre froide, le sport sert également la survivance de la neutralité suisse. Décriée suite au deuxième conflit mondial, elle est à nouveau particulièrement appréciée sur la scène internationale dans le courant des années 1950 (préservation de l’armistice en Corée, sommet des Big Four en 1955 à Genève). Ainsi, avant les Jeux olympiques de Melbourne en 1956, le conseiller fédéral Max Petitpierre met-il les bons offices suisses à disposition du CIO, à la demande de son chancelier suisse Otto Mayer, afin de permettre la participation de la délégation hongroise dont le pays vient d’être envahi par l’URSS.
Cette opération sert alors à renforcer l’action humanitaire suisse engagée en Hongrie et à user du sport pour démontrer l’utilité de la neutralité helvétique. Mais ces considérations géopolitiques ont aussi pour but de préserver des intérêts économiques. A ce titre, les diplomates suisses sont à pied d’œuvre dans les années 1960 lorsqu’il s’agit de venir en aide à l’industrie horlogère suisse menacée par la concurrence japonaise dans la course au chronométrage sportif des compétitions internationales.
Quelle diplomatie sportive pour la Suisse de demain?
Ce n’est pourtant qu’à l’aube des années 1980 que la Suisse se dote d’une véritable diplomatie sportive. En 1981, le président de la Confédération Kurt Furgler, handballeur pétri de culture sportive, accorde un nouveau statut juridique au CIO et lie ainsi durablement le destin de l’institution olympique à celui des affaires étrangères suisses. Suite à la venue de nombreuses fédérations internationales sportives sur son territoire entre les années 1990 et aujourd’hui, le canton de Vaud a récemment proposé à la Confédération et au canton de Genève d’œuvrer à un rapprochement entre les organisations internationales du sport, très nombreuses à Lausanne, et les organisations internationales (OI) de Genève, en collaboration avec la Mission permanente de la Suisse auprès des Nations unies et des autres OI. Cela préfigure peut-être une nouvelle ère de la diplomatie sportive suisse.
A l’heure où la position de la Suisse en tant que pourvoyeuse de bons offices est menacée et que les grandes puissances resserrent leur contrôle sur le sport international, ce genre d’initiative mérite d’être saluée. La Suisse pourrait-elle devenir la plaque tournante d’un sport international plus humanitaire, plus écologique, moins corrompu et moins centré sur les performances, au service des peuples?
Quentin Tonnerre est chercheur à l'institut des sciences du sport, Université de Lausanne.
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