Voile
Après avoir accompli de belles performances en solo et en duo sur les courses océaniques, les navigateurs suisses Valentin Gautier et Simon Koster travaillent sur la création d’une structure pour former leurs jeunes compatriotes aspirant au grand large

La dernière fois qu’on l’a vu, c’était au Havre. Il se tenait debout sur son Class40 noir et rouge et, à côté de son coéquipier affairé à la barre, il saluait la foule venue souhaiter bon vent aux marins lancés dans la Transat Jacques Vabre. L’appel du large était encore discret, l’heure était plutôt à l’émotion.
Car pour Valentin Gautier, il y avait, cette fois, quelque chose de différent. Pour ce jeune papa cette course incarnait la fin d’un cycle. Le navigateur, qui forme avec le Zurichois Simon Koster la performante Roesti Sailing Team, est en train de mettre sur pied une académie de la course au large destinée aux jeunes marins suisses.
Pas de répit
Au Havre, en novembre, les deux navigateurs partaient non seulement avec l’ambition de figurer parmi les premiers de leur catégorie mais aussi avec la volonté de concrétiser leur nouveau projet à leur retour. Il a suffi de suivre leur course pour comprendre qu’il n’était pas dans leur habitude de faire les choses à moitié. A travers l’Atlantique, les deux Suisses ne se sont pas donné un instant de répit. En mode régate pendant près de 22 jours, ils n’ont eu de cesse d’améliorer chaque détail au cours de la traversée. Leurs efforts ont finalement été récompensés par une deuxième place à leur arrivée en Martinique devant une flotte de plus de 40 bateaux.
Lire aussi: Valentin Gautier et Simon Koster, duo suisse en haute mer
Depuis, c’est avec la même motivation que le duo se dédie à la création de son académie. Tout est en place, du calendrier jusqu’aux programmes d’entraînement. Il ne reste presque plus qu’à trouver un partenaire financier. En attendant, cette structure baptisée pour l’instant «Offshore Swiss Sailing Academy» se dédie à des projets pilotes en accueillant des apprentis navigateurs du Centre d’Entraînement à la Régate (CER) à bord de leur Class40 ou en encadrant Anaëlle Pattusch, la plus jeune navigatrice suisse de course au large en solitaire dans la perspective de la Mini Transat en 2023.
Une fois lancée, l’académie engagera deux élèves tous les deux ans. «Notre objectif est qu’après quatre années, ils se soient forgé un nom et un palmarès», avance Valentin Gautier. Au fond, les deux navigateurs veulent permettre aux générations qui leur succèdent de ne pas endurer les mêmes mésaventures qu’eux en arrivant dans les ports des côtes atlantiques. «Chaque fois qu’un Suisse arrive à Lorient, il est largué», confirme notre interlocuteur.
La partie émergée de l’iceberg
Outre le fait que le marin moderne doive aussi être chef d’entreprise, technicien, météorologue, électricien, comptable, ingénieur et conférencier, un carnet d’adresses rempli peut faire office de bouée de sauvetage. «Naviguer n’est que la partie émergée de l’iceberg», confirme Valentin Gautier.
Depuis qu’il a reposé pied à terre, celui qui détient le record du monde du tour des îles Britanniques dans sa catégorie consacre l’essentiel de son temps à trouver le soutien nécessaire non seulement à créer l’académie, mais aussi à permettre à son duo de poursuivre ses projets maritimes. Car si lui voit désormais son avenir se dessiner en Suisse, son collègue a l’intention de rester en Bretagne et de participer à quelques courses, comme la Route du Rhum en novembre.
Lire encore: Valentin Gautier, punk de la voile
Les destinées géographiques des deux marins conviennent à leur ambition de rapprocher l’Atlantique du Léman à travers leur académie. En France, ce type de structure est bien connu dans le milieu. La plupart des navigateurs qui participent à des courses au large en ont d’ailleurs bénéficié. Mais l’eau douce coulant dans les veines des marins suisses, ils demeurent encore à l’écart de ces filiales. Concrètement, à quoi cela correspond-il? «L’idée est de permettre aux élèves d’avoir un regard global sur ce qu’est le monde de la voile», répond le marin, qui se considère aujourd’hui comme un autoentrepreneur.
Un métier fantasmé
L’homme commence à énumérer. Fournir de l’aide dans les démarches nécessaires pour trouver un sponsor. Encadrer la création et la gestion d’une entreprise. Donner des conseils pour préparer une conférence. Orienter les étudiants vers les bonnes personnes. Dispenser les services d’un entraîneur. Rappeler les priorités du calendrier, les chantiers, la liste des réparations à faire. Sommer de prendre des vacances pour ne pas sombrer. En somme, devenir un professionnel et apprendre au jour le jour un métier qui a tendance à être fantasmé.
Il estime qu’un tel encadrement permettrait aux novices d’économiser plusieurs années dans leur parcours. «Notre suivi permettrait d’être dans une dynamique de performance, plutôt que de tenter de survivre», soutient-il.
Un projet au-delà du sport
«Ensemble on est plus fort», cet adage semble résonner à l’esprit des compères suisses qui voient leur structure sous la forme d’une entreprise. «L’idée est d’élargir notre équipe, reprend le Romand. Les navigateurs que nous formerons pourront ainsi non seulement bénéficier de nos bateaux mais aussi de notre savoir-faire pour s’aligner sur les épreuves les plus mythiques de la course au large. Dans l’idéal, ils seront aussi salariés». Les élèves n’ayant rien à payer, cette formation s’apparente donc plus à un stage.
Les deux Suisses proposent une approche qui va au-delà des performances sportives. «Notre projet comporte une dimension sociale qui implique une équipe, plusieurs bateaux et une éthique de la voile», précise Valentin Gautier.
Car les deux marins tiennent à ce que leur discipline ne soit pas réservée seulement à ceux qui en ont les moyens. «N’importe quel jeune talentueux et motivé devrait avoir une chance de vivre son rêve d’enfant, quel que soit le milieu social dans lequel il évolue», insiste le marin, qui s’engage par ailleurs aussi à respecter la parité homme-femme lors des sélections.