Pour survivre, une compétition sportive devra être nécessaire
Sport-études
AbonnéAvec le Covid-19, une sélection naturelle va éclaircir la jungle des quelque 2000 épreuves internationales organisées. Celles qui resteront seront celles qui ont une légitimité populaire, patrimoniale ou économique, et qui sauront s’adapter

La pandémie actuelle provoque un florilège de réflexions sur le «sport d’après», toutes plus spéculatives les unes que les autres. Le quotidien L’Equipe vient d’y consacrer un grand dossier. Que peut-on avancer à ce sujet?
Ce qu’il y a de sûr, c’est que le sport va continuer d’évoluer et de s’adapter à la société contemporaine comme il l’a toujours fait, depuis ses balbutiements en Angleterre au XVIIIe siècle pour quelques gentlemen fortunés et ouvriers désargentés, jusqu’à l’industrie globale qu’il est devenu au XXIe siècle et qui concerne, dans nos pays, près des trois quarts de la population et environ 2% du produit intérieur brut (PIB).
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Le «sport que l’on pratique» librement va continuer à se développer car il correspond à un besoin de bouger, pandémie ou pas. On le voit au travers du succès des récentes initiatives d’athlètes célèbres (comme Federer avec son Tennis at Home Challenge) ou d’organisations sportives (comme la Fédération de pentathlon moderne avec son Laser Home Run) qui vous encouragent à pratiquer chez vous leur sport favori, souvent en liaison avec des fonds de solidarité. Les clubs qui veulent survivre devront donc s’adapter à cette demande que les fitness ont déjà en partie capturée (20% du marché en Suisse).
Le «sport que l’on regarde», par contre, va souffrir. L’organisation des événements sportifs va être bouleversée. Dans un premier temps, beaucoup se dérouleront à huis clos ou avec très peu de spectateurs (ou de participants, pour des épreuves de masse comme la Course de l’Escalade ou le marathon de l’Engadine en ski de fond) car il faudra respecter les distances de sécurité jusqu’à la découverte et l’application d’un vaccin. Cela veut dire que les organisateurs devront renoncer à court terme aux recettes de la billetterie (ou aux droits d’inscription). Seuls survivront les événements pouvant obtenir des droits suffisants de diffusion télévisée et/ou de commercialisation par sponsoring.
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Peu d’événements ont une assurance vie
Mais le retour possible des spectateurs ne ressuscitera pas facilement les événements, sauf ceux qui sont patrimoniaux, c’est-à-dire au bénéfice d’une longue tradition et de sponsors ou supporters fidèles. Les villes et régions qui les accueillent seront heureuses de les subventionner car ils contribueront fortement à l’image et à l’animation de leur territoire. La Confédération envisage d’ailleurs de soutenir particulièrement les événements patrimoniaux, notamment ceux qui font partie de l’association Swiss Top Sport, qui regroupe le savoir-faire suisse en la matière.
Le nombre d’événements sportifs pour l’élite va sans doute fortement diminuer. Ce n’est peut-être pas plus mal car beaucoup sont devenus des prétextes à monétiser le spectacle sportif et ne sont pas très durables. Selon leurs calculs, les fédérations sportives olympiques organiseraient chaque année près de 2000 événements internationaux! Cette prolifération devrait être considérablement freinée. Beaucoup d'événements sans véritable enjeu sportif disparaîtront car ils ne trouveront plus de sponsors, qui se concentreront plutôt sur des événements patrimoniaux. Ces disparitions permettront de moins solliciter l’environnement, le calendrier sera moins encombré et les athlètes moins sollicités. Cela pourrait même limiter le recours au dopage afin de récupérer plus rapidement.
Le numérique pour réunir la masse et l’élite
Mais la compétition est intrinsèque au sport, ne serait-ce que la compétition avec soi-même. Comment ce facteur essentiel peut-il être satisfait sans rencontre physique? Il semble que le numérique permette déjà de combiner sport d’élite et sport de masse, c’est-à-dire détermination du champion et pratique sportive de tout un chacun. Plusieurs fédérations internationales ont sauté sur l’occasion de la pandémie pour lancer de nouveaux événements virtuels très réalistes comme l’Union cycliste internationale avec son Digital Cycling sur vélo d’appartement connecté, et la Fédération internationale d’aviron avec son Rowing Virtual Indoor Sprints sur ergomètre aussi connecté, ou encore la Fédération de canoë (5K Paddle Challenge).
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Des entreprises, comme Strava avec Apple ou Zwift avec Eurosport, se sont aussi lancées sur le créneau avec des apps pour téléphones intelligents qui permettent de connecter votre vélo d’appartement ou votre tapis de course à une communauté d’autres pratiquants pour concourir virtuellement avec eux. Ces nouvelles formes de compétition peuvent bien sûr générer des revenus. Des start-up et de grands équipementiers devraient imaginer les interfaces nécessaires pour combiner pratique individuelle et compétition collective.
La fin du «fast game»
Les méga-événements devraient s’y mettre aussi. Les organisateurs des Jeux de Paris 2024 avaient promis d’organiser un marathon populaire sur le parcours du marathon olympique. Ils devraient considérer un marathon virtuel, ouvert à tous. Ainsi les grands événements sportifs pourraient vraiment favoriser la pratique et être plus inclusifs.
Le fast game à tout prix va donc sans doute disparaître ou être considéré comme un ersatz du spectacle sportif, un peu comme le fast-food est un ersatz de la gastronomie. Les amateurs de sport pourraient rapidement se reporter sur la pratique individuelle traditionnelle ou sur la pratique collective en ligne, sauf spectacle exceptionnel et rare offert par les événements patrimoniaux.