Tennis
On le disait talentueux mais incapable de tenir la distance. Le jeune Allemand se fraye pourtant un chemin à Roland-Garros en enchaînant les matches au long cours. Karen Khachanov l’a vécu dimanche à ses dépens (4-6 7-6 2-6 6-3 6-3)

Boris attend Sacha. Sacha répond aux questions de la ZDF au pied de l’estrade, alors Boris patiente entre deux rangées de sièges. En appui mains sur les dossiers, il soulage un peu ses genoux, ses jambes, ses hanches; son corps meurtri. Ce qui n’arrange pas ses coudes gonflés et suturés, eux-mêmes dans un sale état. Boris est un vilain vieux, mais si vous l’aviez vu à la belle époque… Il était fort, jeune, rayonnant. Comme Sacha, qui s’avance maintenant. Un «check», un petit clin d’œil et Sacha enlace Boris.
Comme Boris Becker dimanche en salle de presse, tout le monde attend Alexander «Sacha» Zverev. L’Allemagne, l’ATP, le public de Roland-Garros. Pour tous, Sacha Zverev est la réponse à tous les problèmes. L’Allemagne voit en lui un successeur enfin crédible à Boris, l’ATP un futur numéro 1 mondial et sa tête de gondole de l’après «Big Four» et les spectateurs parisiens un agréable dérivatif à l’ennui d’un tournoi promis à Rafael Nadal.
Troisième joueur mondial à 21 ans
Zverev fait de son mieux pour contenter tout le monde. A 21 ans, il est déjà troisième joueur mondial. C’est remarquable mais beaucoup jugent flatteuse cette place qu’ils attribuent davantage à la cascade de blessures des habituels cadors (Federer, Wawrinka, Djokovic, Murray, Nishikori, Raonic, Del Potro) qu’à ses mérites propres (huit titres, dont trois Masters 1000). Le jeune Allemand n’a jamais rien réussi de bon dans les tournois du Grand Chelem – ceux où se joue «le vrai tennis», en cinq sets –, ce qui tendrait à prouver sa tendresse physique ou émotionnelle. Jusqu’à ce Roland-Garros.
Dimanche, Sacha Zverev s’est qualifié pour les quarts de finale en battant le Russe Karen Khachanov. C’est une première pour lui, à Paris comme ailleurs. Il s’est imposé en cinq manches (4-6 7-6 2-6 6-3 6-3), comme précédemment face à Damir Dzumhur, et comme encore avant face à Dusan Lajovic. Pour la troisième fois en quatre tours, il a surmonté un handicap de deux sets à un pour tracer son chemin vers la victoire.
Son mérite est d’autant plus grand que son adversaire est lui aussi un grand espoir du tennis mondial. Un peu plus âgé (22 ans), un peu moins bien classé (38e), Karen Khachanov incarne avec Zverev et quelques autres, presque tous d’origines russes (Denis Shapovalov, Igor Rublev, Daniil Medvedev, Stefanos Tsitsipas), une nouvelle génération de joueurs, très grands (entre 1,95 m et 2 m), avec beaucoup d’envergure et cependant rapides, endurants, puissants. Ça frappe au service, ça cogne en coup droit, ça court partout, longtemps. Toni Nadal ajouterait que ça ne réfléchit pas beaucoup.
Poussé par le public
C’est vrai pour Khachanov, impressionnant lorsqu’il gifle son coup droit ou décolle les deux pieds du sol pour appuyer son revers mais beaucoup moins lorsqu’il faut bien négocier les points décisifs. Il flancha ainsi sur son service dans le tie-break du deuxième set (perdu 7-4), puis manqua quatre balles de break dans le quatrième set (seulement 5 converties sur 17 dans la partie).
Plus complet, Sacha Zverev s’en est sorti autant avec la tête qu’avec les jambes. «J’ai mieux joué à partir du quatrième set. Là, je me suis dit que j’allais pouvoir retourner le match.» Malgré sa jeunesse et son manque relatif de vécu, Zverev sut puiser dans le registre des émotions et actionner le ressort du public. «J’essayais de gagner et de me motiver, justifia-t-il en salle de presse. J’étais dans un jour où j’avais besoin d’être poussé. Il fallait que j’aie le public avec moi. Je pense avoir réussi.»
«Pas là pour apprendre»
Quelqu’un lui demanda s’il avait l’impression d’avoir appris quelque chose sur lui-même ce dimanche sur le court Suzanne-Lenglen. «Je sais qui je suis. Je ne suis pas là pour apprendre mais pour trouver un chemin. J’ai su quoi faire au cours de ces derniers matches.» Une réponse sèche, un brin arrogante, mais révélatrice de la force et de la détermination qui le portent dans ce tournoi. «Bien entendu, je suis content mais ce n’est pas la fin. Ce n’est que le quart de finale. Ce n’est pas dimanche… Enfin si, c’est dimanche, mais pas le deuxième dimanche.» Celui où il aura une chance de retrouver Rafael Nadal.
D’ici là, Alexander Zverev aura fort à faire en quart de finale face à Dominic Thiem. L’Autrichien a sorti le Japonais Kei Nishikori en quatre manches (6-2 6-0 5-7 6-4). Zverev l’a battu récemment en finale à Madrid mais il mène 4-2 dans leur face-à-face. «C’est la rencontre que la plupart des fans en Autriche et en Allemagne attendaient», se réjouit Dominic Thiem, déjà deux fois demi-finaliste ici en 2016 et 2017. «Le moment est venu pour moi de passer à l’étape suivante. Je vais avoir 25 ans, il n’en a que 21.» L’avènement de Sacha Zverev est programmé depuis si longtemps qu’on l’aurait presque oublié. A Roland-Garros, il est le plus jeune quart-de-finaliste depuis Juan Martin Del Potro en 2009.
Une victoire genevoise sous la tour Eiffel
Petite éclaircie dans la grisaille suisse cette année à Roland-Garros: la victoire du Genevois Kilian Feldbausch aux Future Tennis Aces, un tournoi sur invitation organisé par Longines et réservé aux moins de 13 ans. Le tableau était composé de 20 joueurs de 20 nationalités différentes, désignés par leur fédération. Champion de Suisse de sa catégorie, Kilian Feldbausch (TC Genève) est le fils de l’ancienne joueuse italo-genevoise Cathy Caverzasio, 34e mondiale en 1990.
Lors de la finale, jouée sous la tour Eiffel, le Genevois a montré beaucoup de calme et d’intelligence de jeu, impressionnant même Steffi Graf, avec laquelle il joua un double mixte contre Andre Agassi et la vainqueur du tournoi féminin, l’Espagnole Victoria Jimenez. A cet âge pré-adolescent, il est difficile de dire si Kilian Feldbausch persévérera dans le tennis. La bourse reçue à Paris (2000 francs par saison pendant trois ans) lui permettra de financer quelques tournois à l’étranger.
(L.FE)