Lorsqu’il ne porte pas le bandeau qui ceint son front sur le court, Casper Ruud dévoile une nette marque de (non) bronzage, signe que la saison sur terre battue est déjà bien entamée. Sur sa meilleure surface (neuf de ses dix titres ATP), le Norvégien brille cette année moins qu’à l’accoutumée, avec un seul titre, à Estoril. A 24 ans, le finaliste de Roland-Garros 2022 traverse une période de doutes comme il en a peu connu durant sa carrière.

Plusieurs fois éliminé au deuxième tour contre des adversaires classés autour de la 100e place (Cristian Garin à Indian Wells, Jan-Lennard Struff à Monte-Carlo, Matteo Arnaldi à Madrid), il vient de signer le meilleur résultat de sa saison avec une demi-finale au Masters 1000 de Rome. Sa fin de match contre le Danois Holger Rune a été houleuse mais le décor de Genève et l’air de la Suisse ont le don de lui rendre le sourire.

Ces deux dernières années, Casper Ruud a cessé d’être «le fils de Christian Ruud» (Roger Federer a affronté le père et le fils) et c’est un peu à la Suisse qu’il le doit. «J’ai remporté ici le deuxième titre de ma carrière, à Genève en 2021.» Il a récidivé l’an dernier, en plus de gagner deux fois à Gstaad et d’être finaliste en octobre dernier des Swiss Indoors de Bâle. «La Suisse a une place particulière dans mon parcours. C’est un pays où je me sens bien, qui me rappelle par certains aspects la Norvège. Genève est particulièrement belle, les gens sont agréables.»

Le calme d’un tournoi

Au bout du lac, le numéro 4 mondial a désormais ses habitudes: il descend aux Bergues, monte sur les Mouettes, grimpe en Vieille-Ville dîner aux Armures. «Mais je n’ai pas encore essayé la fondue. Trop de fromage avant un tournoi.»

Les habitudes sont prises, petites anecdotes qui ont leur importance. Les joueurs de tennis, grands collectionneurs de miles et de visas, apprécient de pouvoir s’amarrer par endroits à quelques routines. Concernant le Geneva Open, ce n’était pas gagné lorsque le tournoi hérita de la semaine précédant Roland-Garros, celle de la traditionnelle transhumance vers la Porte d’Auteuil. Le parc des Eaux-Vives semblait destiné à n’accueillir que des sans-grades ou des joueurs en manque de matchs.

Lire aussi: Alexander Zverev réapprend la confiance et la patience

Ce n’est de loin pas le cas de Casper Ruud, qui vient et revient pourtant pour une raison assez singulière: il préfère le «calme» d’un tournoi à l’agitation de l’entraînement… «Cette semaine à Roland-Garros, il y a 128 joueurs qui disputent le tournoi des qualifications et, à côté, pas loin d’une centaine d’autres déjà qualifiés pour le tableau principal qui veulent s’entraîner. Il y a du monde partout et c’est finalement très stressant, justifie-t-il. A Paris, je serais en train de jouer des sets d’entraînement, pourquoi ne pas faire quelques vrais matchs ici? Il n’y a pas vraiment de différence en termes d’intensité et si je perds rapidement, et bien il me reste suffisamment de temps pour aller à Paris, qui n’est qu’à trois ou quatre heures de train.»

Ambition et frustration

Détendu, le Norvégien ne perd pas le sourire quand on lui rappelle ses mauvais résultats en 2023. «Tous les joueurs éprouvent des hauts et des bas dans leur carrière, relativise-t-il. Il faut croire qu’en ce début de saison, c’était mon tour. Ce n’est pas très agréable, j’essaye d’en sortir le plus rapidement possible en gagnant des matchs.»

Ruud constate toutefois «plus d’attentes» autour de ses matchs. Du public et des médias? «De moi-même également, concède-t-il. Sur chaque tournoi, je sais que j’ai le potentiel pour aller loin. L’an dernier, j’ai disputé les finales de trois des cinq plus gros tournois du calendrier [Roland-Garros, US Open, Masters, pour trois défaites face à Rafael Nadal, Carlos Alcaraz et Novak Djokovic]. Si je n’y parviens pas, cela peut générer de la frustration, ce qui n’est jamais un bon sentiment. Je suis persuadé d’être un meilleur joueur que l’année dernière, d’avoir progressé, mais les autres aussi et il y a de plus en plus d’excellents joueurs. Le tennis devient vraiment très rapide, très agressif.»

Lire aussi: Atypique numéro un suisse, Marc-Andrea Hüsler veut rester «un joueur différent»

Casper Ruud appartient à cette génération appelée à succéder au «Big 3». Federer parti, Nadal blessé, Djokovic énigmatique (aucune finale depuis son titre à Melbourne), est-ce la bonne année? «Novak Djokovic a déjà gagné deux fois alors que Rafa [Nadal] était là. Il est à mon avis le grand favori, en raison de son expérience. Derrière, je me place parmi ceux qui peuvent aller en finale, avec Alcaraz, Sinner, Rune, Zverev, Medvedev.»

Dîner avec les stars

En octobre dernier, Casper Ruud était membre de l’équipe européenne de la Laver Cup, et ainsi aux premières loges pour assister aux adieux de Roger Federer, entouré de Nadal, Djokovic et d’Andy Murray. «Il y a des gens qui paieraient une fortune pour dîner un soir avec Roger, Rafa ou Novak, et nous les jeunes, nous les avions les trois ensemble tous les soirs. C’était une opportunité incroyable.»

Il reste marqué par le spectacle de l’amitié que leur rivalité avait créée au fil des années. Puisque l’ambiance est détendue, on ose: «Vous verra-t-on dans dix ans prendre la main de Holger Rune avec émotion?» Casper Ruud se marre, à moitié. «Je ne sais pas… Si nous avons une aussi belle carrière, avec 20 titres en Grand Chelem chacun et des finales mémorables, peut-être. Revenez dans dix ans, ou plutôt quinze.»

D’ici là, Casper Ruud reviendra mercredi soir à 18h sur le central du parc des Eaux-Vives, pour affronter J.J. Wolf, l’un des représentants de l’imposante colonie américaine qui aime à venir préparer Roland-Garros au bord du «Lake Geneva».