A Roland-Garros, l'orage qui menace et Federer qui patiente (il ne jouera que jeudi) ont laissé la vedette mercredi à Henri Laaksonen. Sur une terre battue sèche, et donc des conditions de jeu rapides qui ont favorisé son tennis à haut risque, le Schaffhousois a créé la surprise du jour, peut-être pas la sensation du tournoi mais assurément le plus gros exploit de sa carrière, en sortant l'Espagnol Roberto Bautista Agut en quatre manches (6-3 2-6 6-3 6-2).

C'est la première fois que Laaksonen, 29 ans, 150e mondial, bat un joueur aussi bien classé que «RBA» (N°11 à l'ATP). C'est aussi la première fois qu'il passe deux tours dans un tournoi du grand chelem, une catégorie où il a disputé moins de matchs dans toute sa carrière (9) que Roger Federer de finales à Wimbledon (12). Les suiveurs suisses, qui le connaissent depuis longtemps, et le pratiquent surtout en Coupe Davis où il est un numéro 1 par défaut, ajouteraient volontiers que c'est également la première fois que Henri Laaksonen joue au maximum de son potentiel.

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Un puncheur funambule

Joueur talentueux, doté de très grosses cuisses et d'un puissant coup droit, il lui manque un mental à la hauteur de ses ambitions. S'il n'a jamais vraiment pu faire fortune sur les courts, c'est en raison de défaillances récurrentes et rédhibitoires dans le «money time»: lorsque les points comptent double. Dernier exemple en date: le dernier tour des qualifications à Genève où il cède deux fois à 5-5 contre Fucsovics (7-5 7-5). Mais contre Bautista Agut, son bras n'a pas tremblé. Et ce fut un récital.

Car Laaksonen n'a pas seulement battu un Espagnol sur terre battue; il l'a surclassé, baladé d'une ligne à l'autre, saoulé d'amortis, assommés de coups gagnants (53, principalement en coup droit, exécuté en lasso à la manière de Rafael Nadal). Réservé, voire taciturne, le Suisse ne s'est pas montré plus démonstratif que d'habitude, mais son style de puncheur funambule a suffi à emballer le public, qui lui trouva quelques ressemblances, en plus du prénom, avec Henri Leconte. «Henri, Henri!», scandaient les tribunes du court Simonne-Mathieu, y compris lors des derniers jeux, lorsque l'on encourage généralement le perdant, soit par charité, soit dans l'espoir que ça dure encore un peu.

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«Le meilleur match de ma carrière»

Laaksonen conclut proprement le travail, avec quatre coups gagnants dans le dernier jeu, et un peu de réussite sur le dernier coup de raquette (la balle ripa sur la bande du filet). «C'est le meilleur match de ma carrière, oui», confirma le fils de l'ancien joueur Sandro Della Piana (et d'une Finlandaise) en conférence de presse. Quelqu'un lui avait posé la question; il ne l'aurait pas dit de lui-même. Mais il était souriant, heureux d'être là, détendu à sa manière. Et un peu plus volubile qu'à l'accoutumée. 

«J'aime bien le style de Bautista Agut, un joueur qui se bat sur tous les points et qui ne donne rien. J'étais content de l'affronter mais je ne pensais pas gagner, avoua-t-il. Le début de match a été très important. J'ai bien servi, ça m'a mis en confiance, et j'ai vu que je pouvais faire jeu égal, ce qui m'a encore permis de me libérer. Même quand j'ai perdu le deuxième set, j'ai trouvé que je jouais bien, je suis resté serein. Mon coup droit m'a bien aidé pour le reste.»

Le fair-play de «RBA»

La question est désormais: peut-il le refaire vendredi au prochain tour (contre Karen Kachanov ou Kei Nishikori)? «Je vous le dirai dans deux jours, répond Henri Laaksonen. Jusqu'à présent, les balles retombent du bon côté des lignes. Cela se joue souvent à peu, vous savez...» C'est vrai, mais faire en sorte que les centimètres soient durablement en sa faveur est le propre des grands joueurs. Laaksonen en est conscient, puisqu'il considère ce succès comme son plus probant «parce que c'était un match en cinq sets. C'est plus long, l'adversaire a le temps de revenir, il faut rester concentré et constant.»

On crut ainsi qu'il allait finir par retomber dans ses travers en début de quatrième set, alors qu'il venait de réussir un break pour mener 2-1. Sur son jeu de service, il surjoua un peu et fut obligé de sauver cinq balles de contre-break. Il y parvint et finit par empocher sa mise en jeu sur un fulgurant coup droit croisé qui frôla la ligne. La balle fut annoncé «faute», mais Roberto Bautista Agut alla vérifier la marque et confirma le point de son adversaire. Un geste de fair-play remarquable à un moment crucial.

Le ciel de Paris pouvait gronder. Demain sera un autre jour pour Henri Laaksonen.