Roger Federer ne cessera jamais de nous surprendre. Il vient de décrocher la première place du classement des athlètes les plus payés au monde, établi chaque année par le magazine Forbes. Cela pourrait sembler anecdotique concernant ce boulimique de records, c’est au contraire très surprenant, car c’est la première fois que Federer, professionnel depuis 1998, domine ce classement. C’est aussi la première fois depuis sa création en 1990 que cette liste, qui fait référence en la matière, place un joueur de tennis devant les habituels boxeurs, golfeurs et (plus récemment) footballeurs.

Plus étonnant encore, Roger Federer décroche le titre honorifique de «sportif le mieux payé au monde» au crépuscule de sa fabuleuse carrière, à presque 39 ans et alors qu’il espace de plus en plus ses apparitions. Sur la période étudiée par Forbes (du 1er juin 2019 au 31 mai 2020), il n’a remporté que deux tournois mineurs à Halle et Bâle et a été opéré du genou peu après son dernier match officiel, une défaite en demi-finale de l’Open d’Australie contre Novak Djokovic, le 30 janvier 2020.

Djokovic et Nadal loin derrière

Sur les douze derniers mois, ses gains officiels en compétition ne représentent «que» 6,3 millions de dollars. Un pourboire en comparaison des 130 millions de prize-money amassés au cours de sa carrière. Mais là où Federer surclasse tout le monde, à commencer par le numéro 1 mondial de tennis Novak Djokovic (que Forbes relègue au 23e rang mondial) et Rafael Nadal (27e), c’est avec les revenus hors compétition. En additionnant les contrats de sponsoring, les exhibitions et les «garanties» (des primes d’engagement versées par les organisateurs de tournois secondaires et qui, pour Federer, débutent à un million de dollars), son compte se crédite de 100 millions supplémentaires. Seul le golfeur Tiger Woods est capable de faire autant d’argent sur son seul nom, estime Forbes.

Celui de Roger Federer est devenu une marque mondiale que les sponsors s’arrachent. Près du tiers (30 millions) des revenus annexes du Bâlois provient du contrat signé en 2018 et pour dix ans avec Uniqlo, la marque japonaise qui a remplacé Nike. Après s’être longtemps limité à dix partenaires – dont les principaux sont Rolex, Credit Suisse et Mercedes –, Roger Federer en a ajouté récemment trois autres: Barilla (2017), Rimowa (2018) et enfin la marque zurichoise On Running (2019), où sa double qualité d’ambassadeur et d’investisseur pourrait lui rapporter gros. La plupart de ces contrats sont de longue durée et lui assureront un même niveau de rémunération bien après la fin de sa carrière sportive.

Seulement le neuvième en trente ans

Mais Federer n’aurait été que quatrième du classement 2020 s’il n’avait fait en novembre 2019 une tournée en Amérique latine qui lui a rapporté 15 millions de dollars pour quatre matchs. A Mexico, associé à Sacha Zverev, il a attiré 42 000 personnes et battu un record du monde de spectateurs pour du tennis, record qu’il améliorera trois mois plus tard au Cap avec Rafael Nadal. La valeur commerciale de Roger Federer suit donc une courbe inverse à celle, déclinante, de ses résultats sportifs. Il a gagné plus que jamais alors que la pandémie de Covid-19 a figé un secteur en récession pour la première fois depuis 2016. A l’échelle du classement Forbes, le détenteur de vingt titres du Grand Chelem est un jeune qui monte. Entré dans le classement en 2008, il se place au cinquième rang sur la période 2011-2020.

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Il n’est que le neuvième sportif à occuper la première place depuis la création de la liste en 1990, après Mike Tyson, Evander Holyfield, Michael Jordan, Michael Schumacher, Tiger Woods, Floyd Mayweather, Cristiano Ronaldo et Lionel Messi. S’il y a eu quelques chassés-croisés, en raison notamment du phénomène ponctuel des très grands combats de boxe (qui ont la capacité de générer énormément d’argent grâce au paiement à la séance), la bourse des valeurs est extrêmement stable. Tiger Woods a régné sans discontinuer sur les super-riches du sport de 2002 à 2011, Michael Jordan a été classé en tête six fois et reste considéré comme le sportif le plus riche de l’histoire du sport moderne. «Personne ne refera ce que Jordan a fait», prévient Federer.

Pas même les footballeurs, entrés tardivement dans le classement (David Beckham en 2004) au moment où ils commençaient à percer les marchés asiatique et nord-américain. Depuis 2013, ils sont incontournables. Au classement 2020, Federer devance le trio star Cristiano Ronaldo-Lionel Messi-Neymar, en attendant Kylian Mbappé.

Seul le tennis fait une place aux femmes

Si l’économie du tennis est incapable de générer autant de revenus globaux que le football ou que les grandes ligues de sports collectifs aux Etats-Unis, sa propension à valider «l’effet superstars» – décrit par la théorie économique de Sherwin Rosen et durement critiqué ces dernières semaines par les sans-grades des circuits ATP et WTA – lui permet de figurer dans ces classements interdisciplinaires. C’est particulièrement flagrant chez les femmes puisque Naomi Osaka se classe 29e, et première femme de la liste Forbes 2020. Elle devance Serena Williams (33e), seule autre sportive du top 100. C’est la première fois depuis 2016 que deux femmes sont présentes dans le classement.

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Malgré des résultats en demi-teinte (comme Federer), Osaka a battu en 2019-2020 un record de gains (comme Federer) en passant le cap des 30 millions de dollars de revenus, grâce principalement à ses contrats commerciaux et à sa popularité en Asie (comme… Federer). Sa double culture japonaise et américaine et ses résultats sportifs (deux titres en Grand Chelem, ancienne numéro 1 mondiale) la rendent particulièrement attractive et lui permettent de détrôner Serena Williams. La Californienne était la sportive la mieux payée ces quatre dernières années, après onze ans de domination de la Russe Maria Sharapova. Encore des joueuses de tennis, encore des alliages de sport et de marketing.

Depuis le début du classement Forbes en 1990, les autres sportives les mieux rémunérées ont toujours été des joueuses de tennis: Venus Williams, Li Na, Martina Hingis, Steffi Graf. Mais seule Monica Seles, en 1992, a réussi à se faire une place dans le top 10. Le ticket d’entrée y était fixé à l’époque à 8 millions de dollars. Il est aujourd’hui passé à 59 millions.