Tennis
Qualifié pour les huitièmes de finale, le jeune espoir britannique mûrit lentement dans l’ombre d’Andy Murray. Une situation qui rappelle le Wawrinka des débuts

Il ne regarde pas ses interlocuteurs, préfère s’inspecter minutieusement les ongles et nettoyer la table d’hypothétiques miettes de frangipane. Il semble parfois même bailler en parlant. Son auditoire aussi, endormi par le ton monocorde sur lequel il déverse des banalités à propos de son match, de la chaleur (plus de 40° encore), de son futur adversaire (l’Italien Andreas Seppi). Kyle Edmund est la nouvelle sensation du tennis britannique.
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Sorti vainqueur d’une dure bataille contre le Géorgien Nikoloz Basilashvili (7-6 3-6 4-6 6-0 7-5 en 3h34, dont vingt minutes pour le seul deuxième jeu du quatrième set, marqué par 15 égalités), ce blondinet au teint diaphane se retrouve soudainement propulsé sur le devant de la scène. En quelques semaines, le numéro quatre britannique s’est retrouvé en situation de potentiel numéro un. En octobre, le numéro deux Daniel Evans prenait un an de suspension pour usage de cocaïne. En décembre, déçu de ne pas pouvoir jouer en Coupe Davis, le numéro trois Aljaž Bedene a repris sa nationalité sportive d’origine, slovène. En janvier, le numéro un Andy Murray s’est résolu à une opération de la hanche dont on ne sait ni quand ni comment il se remettra.
Progrès constants
Dans le quatuor à cordes du tennis britannique, Edmund était l’alto. Le voici soliste. C’est allé un peu vite pour un joueur qui avance pas à pas. Premier huitième de finale en Grand Chelem à l’US Open 2016. L’année suivante, il va un peu moins loin (3e tour) mais plus souvent (Roland-Garros et US Open). Dans les tournois mineurs, c’est la même chose: pas de titre ni d’exploit, mais des bonnes performances (demi-finale), d’abord une en 2016 (Anvers) puis trois en 2017.
Originaire du Yorkshire (mais né en Afrique du Sud, où il a vécu les trois premières années de sa vie), il est l’un de ces joueurs qui montent discrètement les échelons, et dont on parle donc relativement peu. Il est pourtant le sixième tennisman de moins de 23 ans le mieux classé par l’ATP, derrière les plus médiatisés Zverev, Kyrgios, Rublev, Khachanov et Corić. «Test physique passé, force mentale OK. Je crois que c’est la plus belle victoire de la carrière de Kyle Edmund», a twitté Andy Murray, pour souligner les progrès de son jeune protégé.
Physical test passed.. Mental strength passed..I reckon that's biggest win of @kyle8edmund career! Well done kedders 🎾🎾👏👏👏 @AustralianOpen
— Andy Murray (@andy_murray) January 19, 2018
Le pari de Nike
Murray. Indépassable modèle, inévitable référence. Une situation qui fait penser à celle que connut Stan Wawrinka au même âge. Pas simple. Grandir lentement mais sûrement, à la fois protégé de la lumière et maintenu dans l’ombre, libéré du devoir de résultats et écrasé par l’aura, fatigué par les comparaisons et stimulé par l’exemple.
Edmund et Wawrinka ne partagent pas qu’un destin; ils ont aussi le même agent, Lawrence Frankopan. En fin de saison 2017, il lui a fait signer un contrat de quatre ans avec Nike pour 2 millions de livres sterling (2,6 millions de francs). Une somme conséquente, qui démontre que la firme américaine croit au potentiel du grand espoir anglais. Qu’il accède enfin à un quart de finale en Grand Chelem, après avoir déjà sorti au premier tour le finaliste du dernier US Open (Kevin Anderson), au moment où Andy Murray doit s’effacer, ne serait pas forcément que pure coïncidence.
S’il gagnait encore dimanche, s’il émergeait franchement, peut-être observerait-on alors différemment – comme ce fut le cas avec Wawrinka – la personnalité de Kyle Edmund. Vendredi, l’air de rien, il a glissé un trait d’humour anglais au détour d’une question sur la chaleur: «Oui, c’était dur. Mais n’est-ce pas ce que le sport professionnel est censé être?» Indeed. Et si ce blondinet à la peau laiteuse était la meilleure nouvelle en provenance de Hull depuis The Housemartins?