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L’affaire Peng Shuai, un revers pour l’influence de la Chine sur le monde du sport

Pour la première fois, le chantage à l’accès au marché chinois échoue à faire taire les critiques. De l’autre côté de la «Grande Muraille numérique», la population chinoise ne sait rien de la disparition de la joueuse

Peng Shuai, en 2017 — © AFP
Peng Shuai, en 2017 — © AFP

Peng Shuai est réapparue: après une vingtaine de jours sans nouvelles de l’ex-championne du monde de double, son retour a été minutieusement mis en scène par la propagande chinoise au cours du week-end. Jeudi, un e-mail a d’abord été attribué à la joueuse de 35 ans, qui avait accusé un haut responsable chinois d’abus sexuel le 2 novembre dernier. Puis des photos d’elle ont été publiées par un journaliste de CGTN, la version internationale de la télévision d’Etat CCTV.

Samedi, des vidéos d’elle à un dîner en ville ont été diffusées, puis, dimanche, elle est apparue pour la première fois en public lors d’une compétition de tennis junior. Pour couronner cette campagne, celle qui a représenté trois fois son pays aux Jeux olympiques s’est entretenue avec le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach. L’organisation s’est dite «soulagée de voir que Peng Shuai se portait bien». L’échange avec le CIO aurait pu clore l’affaire: après tout, une réponse a été apportée à la question «Où est Peng Shuai?» devenue un slogan. Elle est à Pékin, apparemment chez elle, et semble en bonne santé.

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Si ces éléments semblent suffire au CIO, qui ne souhaite pas froisser son hôte à moins de trois mois des Jeux d’hiver à Pékin, rien n’indique que Peng Shuai est libre. D’après le New York Times, son entretien avec le CIO s’est déroulé en présence d’un «ami» pour l’aider à communiquer en anglais… alors qu’elle parlerait couramment la langue après quinze ans sur le circuit international. L’Association des joueuses de tennis (WTA) assure de son côté qu’elle n’a toujours pas réussi à entrer en contact direct avec Peng Shuai. Surtout, en Chine, le sujet reste étroitement censuré. Tous les éléments récemment publiés par les journalistes de médias d’Etat l’ont été sur la plateforme Twitter, bloquée en Chine. Rien dans les médias qui emploient ces journalistes: pas question de réveiller l’opinion chinoise, dont seuls les membres les plus connectés suivent l’affaire.

© Keystone
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La «Grande Muraille numérique»

Mais si le Parti communiste chinois a réussi à effacer Peng Shuai à l’intérieur de la «Grande Muraille numérique», il n’a pas pu empêcher une mobilisation inédite de la communauté sportive internationale: Naomi Osaka, Serena Williams, puis Andy Murray, Stan Wawrinka, et surtout Novak Djokovic. «Ce serait un peu étrange de disputer des tournois en Chine sans que cette situation ne soit résolue», a déclaré le numéro un mondial en conférence de presse. La WTA n’a pas hésité à s’engager fermement en faveur de la joueuse, victorieuse du double à Roland-Garros en 2014. Par la voix de son président, Steve Simon, l’organisation, pas dupe de la communication chinoise, a multiplié les communiqués et n’a jamais lâché la pression.

Après les apparitions de Peng Shuai ces derniers jours, Steve Simon demande de nouveau des comptes et une enquête sur les allégations de viol de la joueuse. «Il est positif de voir Peng Shuai dans ces vidéos récentes, mais cela ne répond pas aux inquiétudes sur son bien-être et sa capacité à communiquer sans censure ou coercition», a commenté l’organisation. Quitte à mettre sa présence en Chine dans la balance: soit une dizaine de tournois, les masters de fin de saison à Shenzhen, des sponsors et des droits télévisés. Steve Simon s’est dit «tout à fait prêt à retirer [ses] activités [de Chine] et à faire face à toutes les complications qui en découlent».

Une prise de risque inédite. Jusqu’ici, les critiques à l’encontre de la Chine s’étaient limitées à des déclarations d’individus vite désavoués par leur équipe ou leur organisation, terrifiées à l’idée de perdre le marché chinois. Lorsque le footballeur Mesut Özil a critiqué sur les réseaux sociaux le traitement infligé à la minorité musulmane des Ouïgours au Xinjiang (nord-ouest de la Chine), en décembre 2019, son club d’alors, Arsenal, a rapidement pris ses distances avec le champion du monde allemand.

Quelques mois plus tôt, le propriétaire de l’équipe de basket des Houston Rockets avait désavoué son manager général, Daryl Morey, qui avait soutenu les manifestations à Hongkong. La NBA avait accusé «des pertes substantielles» à la suite du retrait de sponsors chinois et de la déprogrammation de matchs en Chine. A l’époque, l’arrêt des retransmissions n’avait pas choqué en Chine, la plupart des fans de la NBA soutenant d’abord leur gouvernement et la répression des manifestations, vues comme l’œuvre de fauteurs de troubles manipulés par l’Occident.

Un réel embarras

Cette fois-ci, la réaction chinoise trahit un réel embarras. La complaisance du CIO, qui veut croire que Peng Shuai «préfère passer du temps avec sa famille», n’y fera rien. D’autant que les appels au boycott des Jeux olympiques se sont multipliés cette année. Mais là où les ONG mettant en avant la répression à Hongkong et au Xinjiang n’ont obtenu qu’un succès mitigé, la mobilisation des athlètes pour l’une des leurs a changé la donne.

Dans la foulée des sportifs, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, la Maison-Blanche et le Quai d’Orsay, entre autres, ont fait part de leur préoccupation. Depuis, le Canada, le Royaume-Uni, les Etats-Unis ont évoqué la possibilité d’un «boycott diplomatique» des Jeux de Pékin: laisser les athlètes participer, mais ne pas faire à Pékin l’honneur d’envoyer des représentants de l’Etat pour la cérémonie d’ouverture.