La précédente fois qu’il fut possible d’aller voir du tennis avec si peu d’angoisse, c’était en janvier 2020 à Melbourne, à une époque où l’on s’inquiétait surtout de la pollution de l’air due aux incendies qui ravageaient le centre de l’Australie. Entre ces deux dates, il y a eu, dans l’ordre, un Wimbledon annulé, un US Open à huis clos, un Roland-Garros déplacé en automne et limité à 1000 spectateurs, un Open d’Australie sous quarantaine et huis clos partiel, un Roland-Garros à jauge réduite s’essayant aux nocturnes malgré le couvre-feu et un Wimbledon où le public (jauge à 50%) avait l’interdiction de faire la queue et les joueurs de résider dans les villas de Wimbledon Village.
Comme avant, vraiment?
L’idée communément admise et le storytelling abondamment répandu depuis quelques jours voudraient que, cette semaine à New York, tout redevienne comme avant. Le monde du tennis, lui, a pourtant totalement changé de visage durant ces dix-huit mois. Que cela soit une conséquence de la pandémie de Covid-19 ou une pure coïncidence temporelle est un autre débat; le tennis que nous connaissions en janvier 2020 n’existe plus en août 2021.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir le classement ATP du 3 février 2020, au lendemain de la finale de l’Open d’Australie, remportée par Novak Djokovic devant Dominic Thiem. Djokovic est numéro un (9720 points), avec 300 points d’avance sur Rafael Nadal. Roger Federer, battu en demi-finale, est troisième, Thiem quatrième. Au dernier pointage de l’ATP (21 août 2021), Djokovic est loin devant (11 113 points), suivi par Daniil Medvedev (à plus de 1000 points), Stefanos Tsitsipas, Alexander Zverev. Nadal n’est que cinquième et Federer neuvième.
Lire également: Roger Federer a créé un monstre et il s’appelle Djokovic
L’Espagnol et le Bâlois sont forfaits à l’US Open. Ils l’étaient déjà en 2020, pour raisons personnelles (beaucoup de joueurs avaient renoncé). Ils sont cette fois blessés, l’un au pied, l’autre au genou. Federer va se faire opérer pour la seconde fois en quelques mois, Nadal hésite. Les deux savent que leur fin de carrière est en jeu. Ils semblaient pourtant avoir de belles années devant eux en janvier 2020. Federer était encore le seul à 20 titres majeurs, était passé à deux balles de match près d’un 21e titre six mois plus tôt à Wimbledon. Sa demi-finale à Melbourne semblait un bon début; il ne rejouera plus de la saison.
Il n’y a plus de «Big 3»
Un problème au genou droit l’oblige à se faire opérer juste après, puis de nouveau en juin 2020, et encore en août 2021. Il ne joue que six matchs en 2020, 13 en 2021, ne participe qu’à deux tournois majeurs, est forfait pour les Masters et les Jeux olympiques. Le bilan n’est guère plus brillant pour Rafael Nadal, qui a ajouté un 13e Roland-Garros en octobre 2020 – et rejoint Federer avec 20 titres – mais n’a plus disputé de finale depuis et déjà mis fin à sa saison.
Ces dix-huit mois ont donc eu raison du «Big 3». Il n’y a plus que Novak Djokovic. A trois longueurs des 20 titres de Federer en février 2020, le Serbe a rejoint le club des «20» en remportant Wimbledon, son troisième majeur de l’année. Il a battu la plupart des records et sans l’annulation de Wimbledon 2020 et une disqualification à l’US Open suivant (sa balle avait touché une juge de ligne à la gorge), il détiendrait aussi celui-ci. A New York, il peut également réussir le premier Grand Chelem du tennis masculin depuis Rod Laver en 1969. «Nous sommes là pour l’empêcher de remporter l’US Open», a résumé le Russe Daniil Medvedev.
Lire encore: Daniil Medvedev, l’antihéros vous salue bien
En janvier 2020, Dominic Thiem semblait le plus à même de menacer Federer et Nadal. L’Autrichien, finaliste à Melbourne après l’avoir été deux fois à Roland-Garros, ne cesse de progresser. Il profite de la disqualification de Djokovic à New York pour gagner son premier majeur, dispute encore la finale des Masters 2020 mais ne gagne plus rien par la suite. Sa troisième place du 3 février 2020 demeure son meilleur classement. En 2021, diminué par une blessure au poignet, il enregistre plus de défaites que de victoires, a été éliminé quatre fois au premier tour (dont une fois à Roland-Garros). Forfait à Wimbledon, aux Jeux olympiques et à l’US Open, il ne sera plus que 8e mi-septembre.
Wawrinka, autre grand perdant
Un autre grand disparu est Stan Wawrinka, battu par Alexander Zverev en quart de finale de l’Open d’Australie 2020, et qui semblait enfin retrouver la pleine possession de ses moyens après deux ans à se remettre d’une grosse opération. Mi-mars à Genève, le 13e mondial décroche deux nouveaux sponsors (Mont-Blanc et Partouche) et part disputer la tournée américaine. Il n’ira pas plus loin qu’Acapulco. Indian Wells et Miami sont annulés. En septembre, il renonce à l’US Open et reprend à Prague dans des Challengers. Cette année, le Vaudois n’a joué que six matchs (trois victoires, trois défaites), le dernier début mars à Rotterdam. Il a été opéré du pied fin mars, puis de nouveau fin juin, et reculé au 31e rang ATP.
A défaut de pouvoir jouer, Roger Federer a regardé beaucoup de tennis ces dix-huit derniers mois. Il dit avoir «été impressionné par le niveau très élevé». Car beaucoup de nouvelles têtes sont apparues dans l’intervalle. Elles étaient déjà là mais brillaient par intermittence ou à un niveau inférieur. Trois jeunes joueurs sont devenus en quelques mois des valeurs sûres, et les plus sérieux contradicteurs de Djokovic: l’Allemand Alexander Zverev, le Grec Stefanos Tsitsipas et le Russe Daniil Medvedev.
Lire finalement: A Melbourne, un arrière-goût de Russie
Finaliste surprise de l’US Open 2019 (battu par Nadal en cinq sets), Daniil Medvedev était encore un joueur capable du meilleur comme du pire en janvier 2020. Battu en huitième de finale de l’Open d’Australie par Wawrinka, il a depuis remporté cinq titres, dont les Masters et deux tournois Masters 1000 (Bercy et Toronto). Il a surtout été très régulier en Grand Chelem: demi-finale à l’US Open en 2020, et cette année finale à Melbourne, quart et huitième à Roland-Garros et Wimbledon, où il n’avait gagné que cinq matchs en sept participations.
Zverev a rajeuni
A Melbourne, Medvedev a battu en demi-finale un Stefanos Tsitsipas toujours plus convaincu qu’un destin particulier l’attend. Le Grec a poussé Djokovic à la limite des cinq sets en finale de Roland-Garros et est déjà N° 3 mondial à seulement 23 ans. Alexander Zverev n’a qu’un an de plus mais c’est comme s’il avait rajeuni en dix-huit mois. Futur ex-grand espoir, il confirme enfin: six titres sur la période, dont l’or olympique (en sortant Djokovic), une finale à l’US Open (2020), une demi-finale (Roland-Garros 2021).
Ce trio rêve de contraindre Novak Djokovic à la création d’un «Big 4». Un nouvel ordre mondial est en place, lui-même contesté par une nouvelle vague venue principalement d’Italie (Sinner, Berrettini), de Russie (Khachanov, Rublev, Karatsev) et du Canada (Shapovalov, Auger-Aliassime).