Novak Djokovic, l’ennui du chasseur
Tennis
Malmené par Dominic Thiem, et par le public de Melbourne, Novak Djokovic remporte un huitième titre à l’Open d’Australie (6-4 4-6 2-6 6-3 6-4). Mais lui qui veut être aimé à l’égal de Federer et de Nadal n’a guère avancé dans sa quête de reconnaissance

Quelques supporters, drapeau serbe sur les épaules, restent encore aimantés par grappes devant l’écran géant, observant par procuration leur héros recevant sa coupe là-bas, de l’autre côté des hautes tribunes réservées aux plus riches ou aux plus prévoyants, mais ils sont bien seuls. Les spectateurs semblent avoir été chassés, poussés vers la sortie par les bourrasques, les horaires des derniers trams, la perspective d’un lundi matin pluvieux où il faudra se trouver un autre centre d’intérêt pour occuper l’été. Les feux de brousse, peut-être, dont on a finalement si peu parlé durant ces quinze jours de tennis.
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Il souffle sur Melbourne et c’est comme si le vent de l’histoire s’appliquait déjà à balayer une édition 2020 assez oubliable. En salle de presse, les feuilles de stats se ramassent à la pelle. Les souvenirs et les regrets aussi. Cette troisième finale consécutive en cinq sets (après Djokovic-Federer à Wimbledon et Nadal-Medvedev à l’US Open) n’a jamais été parcourue du grand frisson de l’épopée. Elle fut décousue et inégale, avec des «turbulences» selon le mot de son vainqueur. Alors très vite, on parle chiffres et records parce qu’eux seuls resteront. Vainqueur de Dominic Thiem en quatre heures et cinq sets (6-4 4-6 2-6 6-3 6-4), Novak Djokovic remporte l’Open d’Australie pour la huitième fois en huit finales. Le Serbe, déjà vainqueur l’an dernier contre Rafael Nadal, profite de l’élimination dès les quarts de finale de l’Espagnol pour lui reprendre la place de numéro un mondial. Il compte désormais 17 titres du Grand Chelem, tout près de Roger Federer (20 titres) et Rafael Nadal (19).
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Le meilleur depuis dix ans
Sur les dix dernières saisons, Novak Djokovic est l’indiscutable numéro un, c’est un fait, pas une opinion. Depuis 2011, il a raflé 16 titres du Grand Chelem, Nadal 10, Federer 4. Il se rapproche avec d’autant plus de constance qu’il les chasse ouvertement. Il veut le record pour, croit-il, être alors enfin reconnu à ses justes mérites, apprécié à sa juste valeur. Mais Novak Djokovic ne sera jamais le joueur le plus populaire, ce n’est pas loin d’être un fait. Même à Melbourne, où il est quasiment invincible, où il compte de nombreux compatriotes, où il donne des billets aux plus «vocaux» d’entre eux pour avoir son mini-carré d «ultras», même ici il ne fait pas l’unanimité.
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Le public neutre ou seulement amateur de tennis lui reproche un jeu très défensif et trop attentiste. Son long travail de sape, aussi impressionnantes que soient son endurance et son élasticité, ne produit pas le même effet qu’une volée de Federer, n’a pas les fulgurances d’un passing de Wawrinka. Ses joies carnassières, même face à un Federer sur une jambe comme jeudi en demi-finale, n’arrange pas son cas. Et puis il y a ses multiples agacements, sa façon de considérer que l’adversaire a forcément une chance de cocu chaque fois qu’une balle touche la ligne, ses ironies teintées de fiel envers les arbitres.
Tous les mauvais dragueurs vous le diront: plus vous cherchez à séduire et moins vous y parvenez. Djokovic s’obstine pourtant. Sauf lors du dernier Wimbledon où, excédé par le parti pris du public, il s’en était servi pour les battre tous, Federer et les Anglais. Mais c’était à Wimbledon, et c’était Federer. Dimanche, les «Bien joué, Nole» sur ses doubles fautes descendaient de la Rod Laver Arena, face à Thiem. Qu’on puisse lui préférer Dominic Thiem le fit probablement sortir du match pendant deux sets, les deuxième et troisième, après qu’il eut remporté le premier (6-4) en poussant d’emblée son adversaire à la faute, notamment par la longueur et la virulence de ses retours.
Un manque d’hydratation
Novak Djokovic avait cependant lâché un break d’avance au septième jeu, et si l’on avait d’abord mis cela sur le compte de l’usure des balles, il y avait autre chose. Peu à peu, la machine serbe se dérégla, accumulant un nombre inhabituel de fautes directes. Le match s’équilibrait à mesure que le niveau de jeu baissait. Djokovic se faisait sanctionner deux fois pour dépassement de temps et perdait son service sur une faute directe qui, un jeu plus tard, offrait la deuxième manche à Thiem (6-4).
L'Autrichien réussissait un nouveau break d’entrée de troisième set, puis un autre. A 4-0, on constata qu’il venait d’enfiler six jeux consécutifs. Djokovic semblait ne plus y être, lâché par son service, s’enfermant dans des attitudes négatives et appelant deux fois le soigneur. Le second temps mort médical, juste avant le quatrième set, lui permit de reprendre ses esprits. «Apparemment, j’avais un problème d’hydratation», expliquera-t-il plus tard, lui-même surpris du diagnostic. Il revint dans la partie, d’autant que Thiem manqua une balle de break en début de quatrième set. Chez lui aussi, la fatigue et la nervosité se faisaient désormais sentir. Le cinquième set n’offrait que peu de suspense, même si Thiem eut encore deux balles de contre-break à 2-1.
Dans cette finale où les deux joueurs furent parfois bons mais jamais en même temps, le vent avait tourné dans le sens de l’histoire que continue d’écrire Novak Djokovic. Il était deux heures du matin passées quand l’octuple vainqueur se présenta en conférence de presse. Comme c’était la fermeture, le patron du tournoi, Craig Tiley, offrit le champagne. Djokovic refusa de prendre une coupe (il ne boit pas d’alcool), sans voir l’ironie symbolique de la scène.