Tennis
Le Bâlois a désormais une rue à son nom à Bienne. Il en conçoit une émotion sincère

Ce n’est pas le plus beau coin de Suisse, ni même de Bienne, mais pour Roger Federer, entre 1997 et 2000, c’était le paradis. De 16 à 20 ans, la future légende du tennis a vécu ici, entre un terrain de foot, le Jura, l’éternel bouchon devant l’entrée Est de la ville et la voie rapide pour Soleure, au centre national du tennis. C’était le temps des copains, de l’indépendance, des choix qui décident d’une carrière et des rencontres qui changent une vie.
Jeudi, la ville de Bienne a fait resurgir ce passé en renommant officiellement la petite rue perpendiculaire «allée Roger Federer». Le joueur était présent, entouré de ses parents. Face à lui, une soixantaine de journalistes et environ 1500 personnes venues pour l’occasion. «Aujourd’hui, une telle manifestation n’aurait eu aucun sens s’il n’y avait eu tous ces gens», souligna-t-il.
Avec l’âge (35 ans en août), Roger Federer devient sentimental. C’est avec beaucoup d’émotions qu’il accepta l’honneur qui lui était fait. «Il est toujours plaisant de revenir sur les lieux de son passé, quand ils existent toujours. Mon premier tennis-club, à Allschwil, et le centre d’Ecublens, où j’ai passé deux ans avant de venir ici, ont été détruits.» A Bienne, au contraire, on a beaucoup construit: un stade de football, une patinoire, et bientôt une nouvelle halle qui accueillera un tournoi de tennis féminin.
«J’espère qu’il y aura toujours beaucoup de vie, avec des jeunes qui soient conscients de ne pas être ici pour des vacances mais qui n’aient pas peur d’avoir de grands rêves. Pas devenir joueur professionnel; un point ATP suffit pour ça. Qui rêvent de gagner Wimbledon ou la Coupe Davis, ou pourquoi pas d’avoir un jour une rue à leur nom.»
A Bienne, pour Federer, rien n’a changé. Même s’il se fait de plus en plus rare, chaque lieu est riche de mille souvenirs. Il rit encore des farces avec Yves Allegro et Marco Lammer, se souvient de sa honte lorsqu’il jeta sa raquette sur le court numéro 3 et déchira la bâche flambant neuve qui venait d’être installée. «J’ai cru que j’allais être viré parce que nous avions été prévenus. J’ai été puni d’une semaine de corvée de nettoyage des courts et des toilettes.»
Il ressent encore la fierté de louer son premier appartement («au Henri-Dunant 22, le loyer n’était pas cher. Avec «Michi», on a longuement hésité avant de le quitter») et respire encore le parfum de cette jeune zurichoise d’origine tchèque qui sentait toujours bon et qui était toujours bien habillée.
Une locomotive et un timbre
Aujourd’hui, Mirka est devenu Madame Federer, Roger est devenu père («mes enfants testent constamment mes limites, exactement comme je le faisais lorsque j’étais jeune»), Allegro, Bohli et Lammer sont revenus à Bienne pour entraîner la relève. «Il est probable que je passe plus de temps ici ces dix prochaines années que j’en ai passé les dix dernières», estime le numéro 3 mondial, qui réaffirme «être toujours ouvert à aider la Fédération».
Certains diront que la ville aurait pu y penser avant. «Le maire de Bienne nous en a parlé en 2010 mais il a fallu plus de cinq ans pour que ça puisse se faire», souffle l’agent Tony Godsick, l’homme chargé de l’agenda de Federer. D’autres objecteront que l’honneur est exagéré pour un sportif, et que certaines villes interdisent de donner aux rues le nom d’une personne encore vivante.
Le principal intéressé n’est pas loin de penser la même chose. «Il m’est arrivé de refuser qu’une place porte mon nom parce que je n’avais aucun lien avec la localité. Il faut que cela ait un sens. Lorsque j’ai eu mon effigie sur un timbre, cela me semblait un peu «too much» mais je n’avais pas vraiment mon mot à dire.»
Roger Federer est aussi le nom d’une locomotive et d’une rue en Allemagne. «Une toute petite rue, à peine 100 mètres, qui mène au tournoi de Halle. Mais l’Allemagne ce n’est pas la Suisse. Ici, c’est beaucoup plus fort. C’est à Bienne que j’ai débuté ma vie d’adulte.» Il s’efforça de faire plaisir à tous, retardant la conférence de presse d’une bonne vingtaine de minutes pour satisfaire les amateurs d’autographes et de selfies. Il s’en échappa heureux mais aussi un peu troublé. «Lorsque les émotions vous dépassent, vous vous sentez vulnérable», expliqua-t-il.
Roland-Garros et les JO
En marge de cette manifestation, Roger Federer a donné quelques indications sur son programme pour les mois prochains. Satisfait de sa rentrée à Monte-Carlo après une opération du ménisque et une pause de deux mois, le Bâlois pense s’aligner au Master 1000 de Madrid. «C’est presque sûr, mais comme je ne peux pas le jurer, je préfère laisser un doute.» Si ça ne sera pas Madrid, ce sera Rome. Ou peut-être l’inverse. Ou les deux, peu importe. «L’important pour moi est d’arriver en forme pour Roland-Garros.»
Son autre objectif est de briller aux Jeux olympiques en août à Rio. S’ils n’ont pas le prestige de Wimbledon, les JO lui rappellent d’autres bons souvenirs: la médaille d’or avec Stan Wawrinka en 2008, l’honneur de porter le drapeau en 2004, le début de sa liaison avec Mirka Vavrinec en 2000. Là encore, le lien affectif joue à plein. «Pour moi, les Jeux sont d’abord l’occasion de bien représenter la Suisse. C’est pour essayer de rafler un maximum de médailles que je jouerai le simple, le double mixte avec Martina Hingis et sans doute le double avec Stan.»
René Stammbach a de quoi se frotter les mains. Pour l’heure, le président de Swiss Tennis est surtout bon pour refaire ses cartes de visite. L’adresse du Centre national du tennis est désormais: 1, allée Roger Federer.