«Si j’étais une joueuse [de tennis], je me mettrais à genoux chaque soir pour remercier Dieu d’avoir donné naissance à Roger Federer et Rafael Nadal. La WTA ne fait que profiter du succès des hommes.» Quelle mouche a donc piqué Raymond Moore, le patron du tournoi – mixte – d’Indian Wells, où se sont achevés dimanche le Masters 1000 et le WTA Premier? Ses propos ont affolé les réseaux sociaux et les ligues féministes. Alors bien sûr, Moore a rapidement fait machine arrière et présenté ses excuses pour «des commentaires de mauvais goût» mais la polémique était lancée. Au point de présenter sa démission.

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Pas trop fatigué par sa victoire expéditive sur Milos Raonic en finale (6-2 6-0 en 77 minutes), Novak Djokovic avait toute sa lucidité lorsqu’il fut invité à donner son avis. Après les précautions d’usage («les femmes se sont battues pour obtenir de gagner autant que les hommes»), le numéro un mondial dédaigna le politiquement correct telle une balle de service trop molle. «Les statistiques montrent que le tennis masculin intéresse plus de monde. Celui qui attire le plus de spectateurs et vend le plus de billets devrait être équitablement récompensé.» Donc gagner plus.

Novak Djokovic n’est pas le seul joueur de tennis à estimer que ces dames sont trop payées. Par le passé, l’ancien champion australien Pat Cash et le Français Gilles Simon s’étaient déclarés contre l’égalité salariale. Arguments: ce n’est pas le même niveau, elles passent moins de temps sur le court, elles attirent moins de spectateurs et de sponsors.

«La peur du vide est réelle»

«Ce n’est pas si simple», tempère Jean-Philippe Danglade, professeur de marketing à la Kedge Business School et auteur de Marketing et célébrités. «Le tennis masculin est mieux positionné et plus lisible mais on oublie qu’avant l’apparition de Federer, Nadal, Djokovic et Murray, les sponsors étaient assez attirés par le tennis féminin. A une certaine époque, Graf, Seles et Hingis, c’était plus attractif que Bruguera ou Muster. Aujourd’hui, le problème de la WTA, c’est qu’elle n’a que deux têtes d’affiche: l’une a 35 ans et l’autre risque une suspension pour dopage… Pour des annonceurs, la peur du vide est réelle.»

Pourtant, le tennis est le sport où les femmes sont les plus médiatisées et les meilleures sont de vraies athlètes. Sur les épreuves du Grand Chelem, les joueuses perçoivent depuis 2007 le même prize money que les hommes. C’était aussi le cas à Indian Wells. Mais cela correspond-il à une réalité économique? «Objectivement, non», estime Lionel Maltese, maître de conférences à Aix-Marseille Université. Cet économiste du sport collabore à l’organisation des tournois ATP de Marseille et Nice. Il s’est aussi occupé durant trois ans du WTA Brussels Open. «La quatrième année, nous avons arrêté parce que nous n’arrivions pas à générer une économie derrière le tournoi. En France, en dehors de Roland-Garros, vous avez Metz, Nice, Marseille, Montpellier et Bercy pour les hommes et seulement Strasbourg pour les femmes.» Mais en Asie, marché émergent, la situation est inverse: 8 tournois masculins et 13 tournois féminin, dont 7 en Chine. «La victoire de Na Li à Roland-Garros et la médaille d’or olympique en double à Pékin ont créé un engouement en Chine», estime Jean-Philippe Danglade.

La Suisse retrouve sa place dans le calendrier féminin

La Suisse, qui n’accueillait plus la WTA depuis la disparition en 2008 du tournoi indoor de Zurich, retrouvera cette année sa place dans le calendrier féminin, du 9 au 17 juillet à Gstaad, juste avant le tournoi masculin. «Nous avons saisi l’opportunité de racheter une date disponible, explique Jean-François Collet, directeur des deux épreuves. Nous profitons des installations déjà existantes, mais sinon nous partons de zéro. Nous nous sommes préparés à vivre une première édition sans beaucoup de sponsors. A moyen terme, cela nous semble intéressant parce que l’on peut proposer deux offres différentes. Le circuit féminin génère plus de surprises, plus de proximité également.» Le prize money (226 000 dollars) y sera inférieur de moitié à celui des hommes pour deux tournois de niveaux similaires.

Aujourd’hui, les plus grands tournois féminins sont des épreuves mixtes: les quatre Grand Chelem, mais aussi Indian Wells, Miami, Madrid, Pékin, Rome, Cincinnati. Il n’y a pas de grand tournoi exclusivement féminin. Selon Lionel Maltese, la vraie valeur du tennis est déterminée par les garanties, les sommes que les organisateurs offrent aux meilleur(e) s pour s’assurer leur présence. «Si vous voulez faire venir Roger Federer, cela vous coûtera 1,5 million d’euros. Serena Williams, la plus grande joueuse de l’histoire du tennis féminin, c’est 500 000 euros, c’est-à-dire ce que touche un Jo-Wilfried Tsonga pour s’inscrire au tournoi de Rio.»

Le problème avec le tennis féminin (vu par les hommes), c’est qu’il a toujours tort. Quand quatre joueurs dominent le circuit masculin, c’est parce qu’ils sont exceptionnels. Quand deux femmes surclassent le circuit féminin, cela prouve bien qu’il est faible. Serena Williams vainc sans péril quand Novak Djokovic triomphe et se couvre de gloire. La victoire d’un Cilic est un exploit, celle d’une Kerber un accident. La vraie injustice est là.