Tess Sugnaux est championne suisse juniors. De victoires en coups de main, elle a intégré l’académie ID8 du Stade Lausanne, où elle s’essaie à la prise en charge. A 14 ans, elle n’a presque pas joué en plein air. Son talent a germé dans une halle de Granges-près-Marnand, arrière-pays de terre noire.
Les parents ont «fait avec le budget disponible». Le labeur et l’argent du labeur: Jean-François, ouvrier d’usine, et Carlyne, nettoyeuse à MétéoSuisse, ont reçu quelques subsides (environ 15 000 francs par an), organisé des repas de soutien, obtenu le concours de la Jeune chambre économique broyarde. Quand ils ont disputé des tournois sur sol alémanique, ils sont rentrés chez eux chaque soir, pour limiter les frais. Bon an mal an, les leçons privées n’ont pas excédé 1h30 par semaine.
Jean-François et Carlyne n’avaient aucune inclination pour le tennis. Ils ont suivi leur fils aîné Dan, naturellement doué, devenu le mentor de sa sœur. «On a bien vu que Tess avait de la facilité», avance prudemment la maman. Des cadres vaudois aux cadres nationaux, d’une préparation physique avec Isabelle Paganini (épouse de Pierre) à l’académie Idée 8, de performances en bienveillances, Tess Sugnaux sèche les cours pour rejoindre ceux de Vidy, ses rêves en bandoulière, tous les après-midi à 14 h.
Les Sugnaux, peu à peu, commencent à voyager. «Tess doit passer par les qualifications car elle n’a pas assez de points. Les seuls tournois européens que nous avons disputés jusque-là étaient les épreuves organisées en Suisse. Dans certaines fédérations, les jeunes voyagent partout. Il est intéressant de discuter avec les autres…»
La famille Sugnaux n’en conçoit aucune aigreur. Elle a le bon sens terrien de ceux qui savent où ils vont, et n’hésitent pas à demander comment y aller à ceux qui savent. Alexandre Ahr, déjà conseiller de Timea Bacsinszky (WTA 100), est de ceux-là: «Il est clair que pour son âge, Tess accuse un certain retard au plan international. Mais son niveau d’ensemble, avec si peu d’entraînements de qualité, est exceptionnel. Sans vouloir offenser personne.»
Elle, le regard décidé, la poignée de main virile, impatiente de partir s’entraîner: «Désavantagée? Non, pas tellement. La difficulté rend plus fort. Et si on se donne à fond, on y arrive.» Elle qui préfère Rafael Nadal, «pour son mental et son physique». Elle qui, les joues empourprées, confesse l’ambition de «devenir professionnelle», acculée à cet aveu qu’elle «ne ressent jamais de pression sur un court, ne lâche jamais, ne doute jamais.» Et de gazouiller: «J’aime cogner fort.»
«L’attitude de Tess est saine, assure sa maman. Déterminée mais sereine. Il n’y a pas de rages ou de larmes. Au bord des courts, nous voyons de tout…» Tess Sugnaux ne passe pas sa colère sur ses raquettes. «Le matériel n’est pas donné.»
Erfan Djahangiri corrige les défauts de fabrication. Carlyne Sugnaux chérit à distance: «Je suis une maman avant tout. Je n’ai pas de rêve pour Tess. Je veux juste l’aider à réussir quelque chose dont elle a très envie. Le tennis est sa vie.» «Il est son projet, insiste Alexandre Ahr. Sur le circuit féminin, les démarches spontanées, sans pression sociale ou parentale, deviennent rares.»
Carlyne Sugnaux, maman avant tout, mais impresario par défaut. «Tess aborde trois années importantes. Nous la soutiendrons jusqu’au bout, avec nos moyens. Ça passe ou voilà.»