Comment pouvait-elle commander quatorze raquettes d’un coup, annuler toutes ses répétitions de théâtre, et mandater des experts en marivaudages (attachés de presse, conseillers en marketing) sans éveiller les soupçons? Dans un émoi purement protocolaire, Justine Henin a révélé hier, sur la chaîne RTL-TVI, ce que tout le monde sait depuis longtemps: elle revient. Pour de vrai, pour de bon. Pourquoi pas…

Elle revient et, au-delà des retrouvailles jouissives, un certain trouble perdure, quelque part entre l’admiration et la pitié. Justine Henin, 27 ans, seule au monde, n’a pas trouvé son bonheur. Elle l’a cherché dans des voies toutes tracées; leçons de tennis, études de droit. Elle a erré dans tous les lieux communs de l’existence; châteaux en Espagne, Facebook, soirées nanas.

Elle a couru le cachet et les mondanités, les œuvres caritatives et les plateaux télé; elle a tellement couru, avec si peu d’entrain, que les rumeurs l’ont facilement rattrapée. «Il n’y a aucune ambiguïté sur ma carrière, a-t-elle menti dans L’Equipe. L’envie ne reviendra pas. Je le sais parce que je me connais. Je reviens rarement sur mes décisions. Je suis entrée dans une nouvelle vie qui m’offre de nouveaux défis.»

Elle en est sortie brusquement, en plein journal télévisé, avec quatorze raquettes sous le bras. Un retour. Pour de bon ou pour un temps. Mais pourquoi donc? Ce n’est même pas que Justine Henin, après une immersion ethnique dans la vraie vie, en revienne affranchie, au stade jubilatoire de la désillusion: elle n’a jamais aspiré à la félicité domestique, idéal pantouflard façon Kim Clijsters. De même, elle n’a jamais cru au bonheur ou, tout au plus, l’a toujours considéré comme une vague rumeur.

Elle revient avec les mêmes traumatismes, brouillée avec l’ensemble de sa famille, au nom des querelles éternelles, et divorcée de son alter ego, Pierre-Yves Hardenne, parti avec 10 millions de francs et un avion de tourisme. Justine Henin a des revanches à prendre. Sans le tennis, sa vision manichéenne, sa dramaturgie de l’affrontement, elle est en mal d’exutoires.

Elle ne pourra empêcher les racontars, ni esquiver les coïncidences troublantes. D’abord, il y a la date de ce retour: janvier 2010, deux ans exactement après un départ en pleine gloire, totalement impromptu et incompris. Deux ans, la durée d’une suspension pour dopage. «Or nous savons que, traditionnellement, le tennis a souvent prononcé des peines non officielles, déguisées en blessure ou en congé sabbatique, afin de préserver son honneur», rapporte un ancien fonctionnaire du circuit.

Il y a aussi la «success story» de Kim Clijsters, compatriote et néanmoins rivale, revenue avec son bonheur conjugal étalé sans vergogne, son talent déployé sans contrariété, sa popularité ravivée sans effort… «Justine n’en avait pas assez avec ses shows télé. Fallait qu’elle revienne sur le terrain car elle est jalouse qu’on ne parle plus que de «Maman Kim», écrit un blogueur, dans la veine de la pensée dominante.

Justine Henin, non, n’est pas encore revenue de tout. Elle revient et puis c’est tout, dressée sur son mètre soixante-huit de pugnacité, d’où elle conserve une haute idée de l’excellence. Elle sera probablement la plus complète, la plus assidue et la plus inventive de ses contemporaines. Elle restera aussi une exception morphologique, une force fragile dans toute son extrême intempérance.

Selon les confidences du Dr Serge Messens, la championne n’a plus de jambier antérieur (les injections de cortisone ont achevé le tendon), elle présente une cavité dans le cartilage du genou droit, un tendon endommagé à l’épaule droite, un système immunitaire fragile et des troubles digestifs à l’entrée de l’intestin grêle, où se concentrent les bactéries – d’où des fatigues répétées. Vite blessée, vite guérie, Justine Henin a fini par contracter un virus mal identifié qui, en 2004, l’a réduite à l’indolence. Quand n’importe quel comptable ou menuisier «aurait obtenu une incapacité de travail», selon le Dr Messens, Justine Henin a remporté sept titres du Grand Chelem – mais aucun à Wimbledon, son «seul regret».

Elle a soulevé des blocs de fonte jusqu’à en vomir, et poussé son corps endolori à l’insomnie. Elle avait 18 ans lorsque, ses revanches en bandoulière, elle a sonné à la porte de Pat Etcheberry, l’ancien préparateur physique de Pete Sampras, dans une rencontre restée légendaire: «La gamine avait une maturité anormale pour son âge. Je lui ai demandé quel était son but. Elle m’a répondu: devenir la meilleure. Nous avons tout simplement travaillé dans ce sens, en totale adéquation… Ce n’était pas compliqué parce que, sous sa carcasse menue, Justine possède un sens du sacrifice extraordinaire. Je ne l’ai jamais entendue se plaindre.» L’ex-numéro une mondial raconte à quel point, parfois, les tournois lui semblaient reposants.

Elle avait 18 ans, sa mère avait succombé à un cancer, ses frères avaient acheté un coupé sport avec ses économies, son père l’avait éperonnée avec des ardeurs de maquignons. «La douche était mon seul moment de répit», écrit-elle dans sa biographie. Aujourd’hui, Justine Henin reprend le cours de son existence, Cosette en col blanc, pauvre petite fille riche, embrigadée dans des combats contre la terre entière, sans avoir la force de les gagner tous. Tant pis: elle défiera le bataillon des cogneuses en jupettes. Justine Henin a conquis ce monde de brutes dans des ahans poétiques; lèvres fines et pincées; front inquiet et regard effarouché; l’obsession de gagner, encore et encore. «J’ai puisé ma force dans la rage, la révolte, le sentiment d’injustice.» Elle décrivait ensuite, dans la fantasmagorie de la résignation: «J’essaie de trouver la sérénité, l’équilibre, sans le tennis et l’adrénaline.» Il ne lui restait alors que deux passions, deux: les enfants et Céline Dion.