Sport business
Depuis la zone industrielle de Denges, Pomoca, une discrète PME, fabrique 200 000 peaux de phoque par année. Elle détient le tiers d'un marché mondial qui, contrairement à celui ski alpin, est en expansion

Le sport a son propre univers financier, ses propres codes économiques. Afin de mieux les comprendre, Le Temps consacre des articles réguliers à la thématique du sport business. Chaque mois, retrouvez nos enquêtes, portraits, reportages ou analyses sur ces liens qui unissent le sport et l'argent.
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C’est souvent à l’abri du soleil que l’on trouve la meilleure neige. Peut-être est-ce à cela qu’ils ont pensé en s’installant à l’ombre d’une colline, entre une route rectiligne et une gare de triage. Dans la zone industrielle de Denges, si ce n’est une odeur prononcée de colle, rien ne pourrait venir trahir ici la présence du leader mondial de la peau de phoque. Devant l’usine Pomoca se dresse une enseigne discrète. Un champ labouré obstrue la vue sur les montagnes.
Chaque année, 100 000 paires de peaux de phoque sont confectionnées dans ce bâtiment en tôle. C’est entre mars et novembre que la petite usine fonctionne à plein régime, à raison de 2500 paires de peaux par semaine. Ainsi, Pomoca détient le tiers du marché mondial de la peau de phoque et génère 4,5 millions de chiffre d’affaires par an. Mais cela ne semble pas être monté à la tête de son directeur général. Josep Castellet nous reçoit, sourire décontracté et chemise à carreaux, dans son bureau. Aujourd’hui, il est venu travailler à vélo.
Esprit de famille
A la tête de l’entreprise depuis 2009, il a su faire persister l’esprit que la famille Dufour, créatrice de Pomoca, avait insufflé à sa marque. «Une grande partie de nos employés sont des passionnés de montagne», assure-t-il. Pour lui, la preuve du succès que remporte ses peaux de phoque se résume à une observation: «Partout où il y a de la neige, nous sommes là.»
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Il a raison. Il suffit de regarder sous les skis des randonneurs pour en avoir le cœur net. Avec Colltex, basé dans le canton de Glaris, Pomoca couvre plus de la moitié du marché mondial des peaux de phoque. Les autres références dans le domaine, Black Diamond, Kohla Tirol et Genuine Guide Gear, sont plus en retrait.
Des débuts avec vue sur le Léman
Pomoca, c’est avant tout une histoire de famille. Celle des Dufour. Depuis les années 1870, ils sont étroitement liés au développement du ski et du tourisme en Suisse romande. Depuis Montreux, où elle demeure, la famille participe au lancement des loisirs hivernaux en faisant des Avants la station phare de l’époque. Le beau monde s’y rassemble et teste les premières lattes en bois qu’Eric Dufour importe. Un succès. D’autant plus que l’épiderme d’un jeune phoque collé sous les skis permet aux sportifs d’accéder aux sommets dominant le Léman comme lors de la saison d’été. Pour les Dufour, la montagne est non seulement une passion, mais aussi un business.
En 1931, ils lancent Pomoca, diminutif de Peau-Mohair-Caoutchoutée. «Un nom intrigant. Car le mohair n’est apparu que deux ans plus tard sur le marché», s’étonne Josep Castellet. Déjà à cette époque, le caoutchouc était d’usage. Bien que le matériau ait toutefois d’abord servi à confectionner des semelles de chaussures, il sert très vite à imperméabiliser les peaux.
Faire d’une erreur un succès
Bien que modeste, l’histoire de Pomoca sonne comme une success-story à travers le siècle. Le passage au XXIe fut toutefois marqué par une année obscure. L’an 2000 est un désastre pour la marque. Il suffit d’une saison pour que Pomoca devienne synonyme de randonnées ratées. Une colle trop forte est au banc des accusés. Elle reste collée aux skis et contraint les randonneurs à descendre à pied, leurs lattes ne glissant plus. «C’était en fait dû à un souci d’imperméabilité. Mais l’avantage est que cette erreur nous a poussés à trouver une technique permettant d’obtenir une peau meilleure que toutes les autres par la suite», commente Josep Castellet.
Cette technique est devenue le secret de Pomoca. Son directeur n’en divulguera que le nom: Saferskin. Une membrane de caoutchouc qui fait toute la différence. Et, comme pour noyer le poisson, le patron précise alors: «Nos peaux sont très appréciées par les athlètes.» Vedettes du ski, ils répondent ni plus ni moins aux noms de Laetitia Roux, Kilian Jornet, Martin Andenmatten ou Jérémie Heitz.
Demeurer en Suisse
On l’avait compris, tant que la neige est là, ça va plutôt bien pour Pomoca. Mais le succès dont le directeur parle, a surtout été ressenti en 2014: «En cinq ans, notre chiffre d’affaires avait triplé». Rachetée, par le groupe italien Oberalp, en 2011, la marque a tenu à rester en Suisse. «Nous avons envisagé la possibilité de nous installer en Italie. Mais nous avons réalisé, qu’une présence en terres helvétiques allait être bien plus bénéfique que des économies sur les coûts de la main-d’œuvre», souligne le directeur.
La productivité et le savoir-faire des employés suisses ont pesé dans la balance. Même si, depuis huit ans, l’envolée du franc porte préjudice à l’entreprise. Heureusement pour elle, la Suisse a d’autres atouts comme les sources d’innovation situées à quelques encablures de rue. «On réalise que le fait de rester en Suisse paie», déclare Josep Castellet, enthousiasmé par les collaborations avec l’EPFL et les différents soutiens à l’innovation dont a bénéficié son entreprise.
L’impénétrable science de la glisse
Trouver le produit de rêve, voilà l’objectif de Pomoca. La peau convoitée devra allier légèreté, glisse et accroche dans n’importe quelle neige. Une formule complexe qui a de quoi faire enrager les ingénieurs. Jusqu’ici, aucune recherche n’a donné de meilleurs résultats que la peau de phoque classique. «Les recherches sont très empiriques. Au fond, on ne sait pas pourquoi ça glisse ou pas. Et si l’on fabrique une peau de cette manière, c’est parce qu’on l’a toujours fait ainsi», sourit le directeur.
Depuis que les phoques ne servent plus à rendre les randonneurs heureux, les peaux sont conçues à partir d’un mélange de nylon et de mohair gracieusement offert par des chèvres sud-africaines. A Denges, ce velours arrive sous forme de volumineux rouleaux qui seront par la suite découpés et encollés. Au final, la confection d’une paire de peaux coûtera entre 30 et 40 euros. Ce prix sera quintuplé en magasin.
Contrairement au ski de piste, la randonnée à ski est une activité qui connaît une croissance constante. Evidemment, le constat ravit Josep Castellet, qui souhaite doubler le chiffre d’affaires de son entreprise. Quel délai s’est-il réservé pour la réalisation de cette volonté? Comme tout montagnard qui se respecte, l’homme prend en considération les aléas climatiques: «Nous comptons sur cinq hivers neigeux pour y parvenir.» Cette saison a lancé le compte à rebours.