voile
Les navigateurs de la Roesti Sailing Team forment une équipe soudée sur les courses au large. Dimanche, au Havre, ils ont pris le départ de leur 2e Transat Jacques Vabre. A bord de leur bateau Class40, ils visent cette fois le haut du classement

Le quai est une ligne droite. Difficile de s’y perdre, et pourtant. Au Havre, face aux 45 bateaux Class40 qui, carène contre carène, se jouxtent dans le bassin Paul Vatine, l’œil fatigué de la journaliste se perd. C’est finalement la veste rouge de Valentin Gautier qui fait office de phare et la dirige vers le monocoque Banque du Léman. Les paroles du navigateur suisse finalement la réveillent: «Comment ça, ces bateaux se ressemblent!, s’insurge-t-il. Le nôtre n’est pas du tout pareil aux autres! Regardez déjà la déco!»
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Blanc, gris, rouge, noir. C’est vrai qu’il en jette ce bateau, avec sa croix suisse stylisée, dessinée sur le pont. Mais il n’y a pas que ça. Le duo que le Genevois Valentin Gautier forme en mer depuis trois ans et demi avec son compatriote zurichois Simon Koster, sous le nom de Roesti Sailing Team, participe à cette édition de la Transat Jacques Vabre sur un voilier de 40 pieds dont la particularité réside dans la forme arrondie de son étrave.
C’est donc un scow? «Tout à fait, répond Valentin Gautier. Sa forme s’inspire de ces carènes qui étaient très en vogue au début du XXe siècle sur les Grands Lacs américains.» Sous l’impulsion du navigateur et architecte naval David Raison, voilà environ quatre ans que cette anatomie innovante apparaît sur les navires engagés dans les courses au large. Lors de la dernière édition de la Transat Jacques Vabre, en 2019, la victoire de Crédit Mutuel, barré par Ian Lipinski et Adrien Hardy, a prouvé l’efficacité de ces bateaux arrondis. Mais avant cela, c’est au sein du laboratoire que constitue la classe Mini – des voiliers de 6 mètres 50 - que cette forme de carène a été éprouvée.
Mieux préparés qu’en 2019
Au Havre, la semaine dernière, le départ imminent de l’épreuve avait un goût de déjà-vu pour les deux Suisses. Il y a deux ans, Valentin Gautier et Simon Koster s’engageaient dans la course sur ce même voilier, tout en sachant qu’ils manquaient de préparation. «Nous l’avions mis à l’eau quatre semaines plus tôt et n’étions clairement pas prêts, se souvient le Romand. Ce bateau n’est pas simple à naviguer, il a fallu qu’on s’y fasse.» Pour les compétiteurs, le souvenir confine à l’échec, mais sur les 27 duos concurrents de leur classe, ils sont tout de même arrivés quatrièmes à Salvador de Bahia au Brésil.
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Cette fois, c’est donc différent. Forts de deux années de navigation sur ce monocoque, les skippers ont pu prouver leur maîtrise en remportant, en 2020, la Normandy Channel Race devant Ian Lipinski, leur principal rival sur la transat, vainqueur de la dernière édition. Cette année, leur palmarès de début de saison laisse présager une belle traversée de l’Atlantique sur la Jacques Vabre.
«On a envie de jouer le haut du classement, confie Valentin Gautier sur le pont de son bateau encore amarré. Mais on a conscience que le niveau de l’ensemble de la flotte est élevé.» Avec 45 Class40, c’est en tout cas la plus importante de la course. Si cette classe remporte autant de succès, c’est grâce à une jauge restrictive qui lui a permis de demeurer abordable financièrement et techniquement. Elle attire ainsi autant les amateurs talentueux que les coureurs professionnels.
Complémentaires à terre comme en mer
Le duo suisse fait partie de la seconde catégorie. Constructeur naval de formation, Valentin Gautier s’est d’abord aguerri sur le Léman avant de répondre aux appels du large et de s’emparer d’une cinquième place lors de la Mini Transat 2017. A 34 ans, il forme avec Simon Koster, lui-même âgé de 33 ans, une équipe soudée et désormais rompue à l’exercice du double. «C’est en quelque sorte devenu notre marque de fabrique, commente le navigateur romand. Nous sommes complémentaires à terre comme en mer.»
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La longue silhouette de Simon Koster s’extirpe de la foule et monte à bord. Elle se plie en deux pour entrer dans la cabine où des sacs étanches jonchent le sol de part et d’autre des varangues formant la charpente du navire. Aucun confort en vue, si ce n’est un pouf lancé dans un coin et un sac rempli de nourriture. «Lorsqu’on navigue, on ne fait que transférer les sacs d’un côté à l’autre du bateau, décrit Simon Koster. Tout est une question de poids.»
Formé sur «son» lac, le Zurichois participe à des courses au large depuis dix ans. L’Atlantique, il l’a déjà traversé six fois. Géo Trouvetou des mers, cet électricien de formation a, en 2015, créé un bateau tout rond tacheté de vert à bord duquel il s’est – à la surprise générale – octroyé une troisième place sur le podium de la Mini-transat.
Tous deux ont les yeux bleus. Tous deux laissent leurs regards s’échapper au loin. Amoureux du large, fascinés autant par la technique que la tactique, Valentin Gautier et Simon Koster partagent aussi le même désir de simplicité. «On a les mêmes ambitions que nos concurrents, avec la moitié du budget nécessaire, raconte le premier. Par conséquent, on fait beaucoup nous-même, c’est passionnant, mais on y perd des plumes.»
Deux horizons
L’an prochain, la Roesti Sailing Team, baptisée en clin d’œil au fossé suisse que l’équipe comble par son union, se séparera. Valentin Gautier souhaite se tourner vers la transmission en se lançant dans la création de la Swiss Offshore Sailing Academy à Lorient, en Bretagne. «Le but est qu’une nouvelle génération de skippers suisse puisse bénéficier de notre expérience acquise au fil des années.»
De son côté, Simon Koster envisage de prendre le départ de la Route du Rhum. Il devra ainsi retrouver ses habitudes de solitaire et ce réveil dont il a réglé les sifflements à 120 décibels afin de ne pas dormir plus de dix minutes toutes les heures. Les moments magiques vécus seul en mer semblent encore l’envoûter.
Depuis le passage de Bernard Stamm, Laurent Bourgnon, Dominique Wavre ou Pierre Fehlmann, les Suisses n’ont plus à justifier leur présence dans les courses au large. Au Havre, on considère d’ailleurs la Roesti Sailing Team comme un concurrent redoutable malgré ses airs discrets et modestes. Redoutables comme ces Class40, qui mine de rien pourraient peut-être arriver avant tout le monde en Martinique.