Ils se tirent la bourre en tête du Vendée Globe à une cadence infernale. Entre Armel Le Cléac’h et Alex Thomson, c’est un coup à toi, un coup à moi. Lundi, le Français a franchi en tête le Cap Leewin, au Sud de l’Australie, avec 5 jours et 14 heures d’avance sur le temps de référence établi par François Gabart, le vainqueur de l’édition précédente. La moitié des 40 075 km du parcours de ce tour du monde en solitaire sans escale ni assistance ont été avalés en seulement un mois. Du jamais vu. Mais si Le Cléac’h a mis un train d’avance au vainqueur de 2012 au Cap Leewin, il ne devançait que de quelques heures son adversaire direct et premier poursuivant, Alex Thomson. Et lors du passage du premier des trois caps du parcours, le Cap de Bonne Espérance, à la pointe de l’Afrique du Sud, c’est le Britannique qui était en tête.

Skipper respecté

Avec son bateau tout noir, son budget conséquent, et ses airs de Wayne Rooney, Alex Thomson ne laisse personne indifférent. Suscitant tour à tour, fascination, agacement ou ironie. Celui qui a longtemps été considéré comme une tête brûlée détonne dans ce monde très franco-français de la course au large en solitaire. Et sur les pontons du port des Sables d’Olonne, à la veille du départ, les commentaires de radio comptoir allaient bon train. Il y a ceux qui dépoussiéraient l’histoire en rappelant les affinités nazies du fondateur d’Hugo Boss, le sponsor de Thomson, et ceux qui ricanaient en affirmant que jamais un «Roastbeef» ne pourrait damer le pion à un Breton, plus précisément à un skipper de Port-la-Forêt, la Mecque de la course en solitaire, surnommée aussi la Vallée des Fous.

Alex Thomson, 3e de la dernière édition et pour qui c’est la 4e participation au Vendée Globe, n’a pourtant plus rien à prouver quant à ses capacités de skipper au long cours. «Il traîne une réputation de bourrin qu’il ne mérite pas du tout, reconnaît Ronan Lucas, directeur de l’écurie Banque Populaire d’Armel Le Cléac’h, joint par téléphone. Peut-être qu’il était un fougueux avant mais avec l’expérience, il est devenu un sacré marin. Il est respecté par les autres skippers et en ce qui nous concerne, nous l’avons toujours considéré comme un des favoris. Son bateau est assez typé, mais très performant. Alex est un guerrier, un dur au mal qui sait pousser la machine. Il gère parfaitement bien sa course et, à moins d’un gros pépin, sera dans le match jusqu’au bout.» Autant dire que chez Banque Populaire, il est pris très au sérieux. «Armel sait qu’il ne doit pas se faire distancer par Alex, ajoute Ronan Lucas. Son avarie de foil est pénalisante à certaines allures mais il peut clairement être le futur vainqueur de ce Vendée Globe.»

Armel Le Cléac’h, deuxième en 2012, vise clairement la victoire. La défaite serait amère, peu importe la nationalité du vainqueur. «C’est une légende, cette idée qu’une victoire anglaise dérangerait. Au contraire, on aimerait qu’il y ait plus de grosses écuries étrangères bien structurées comme la sienne, ajoute encore Ronan Lucas. Ils apportent une vision différente et nous forcent à nous remettre en cause. C’est intéressant et mieux que des empêcheurs de tourner en rond. Et puis, Alex n’est pas le premier Anglais qui marche bien dans le Vendée Globe!»

Une approche différente

En effet, si la course a été créée par un Français, Philippe Jeantot, et n’a jamais été remportée par un étranger, ce n’est pas la première fois qu’un Britannique s’y distingue. Lors de l’édition 2000-2001, Ellen McArthur a terminé deuxième derrière Michel Desjoyeaux après avoir occupé provisoirement la tête de la flotte. Et Mike Golding s’est hissé sur la troisième marche du podium de l’édition 2004-2005. Mais à l’époque, l’arrivée d’Ellen MacArthur et surtout de son management très efficace à l’anglo-saxonne est venue secouer un peu les méthodes tricolores. Mark Turner, qui s’occupait alors d’Ellen MacArthur, devenu aujourd’hui le patron de la Volvo Ocean Race, s’en souvient. «C’est vrai que l’on arrivait avec une manière de travailler différente et on dérangeait un peu, confie-t-il au bout du fil. Mais je peux comprendre la frustration des skippers bretons qui s’entraînent à longueur d’année, font leur gamme sur la Solitaire du Figaro et voient débarquer quelqu’un qui n’a pas le même bagage et qui parvient à les devancer. Le niveau d’entraînement à Port-la-Forêt est très élevé. Alex a une approche totalement différente. Il a un bateau plus extrême et un peu plus rapide et, depuis le temps, il est devenu très expérimenté. Il sait aller au bon endroit au bon moment.»

Si Alex Thomson devait remporter ce Vendée Globe, il rendrait en quelque sorte hommage aux pionniers de la circumnavigation en solo. Une invention non pas française mais anglaise. Sir Robin-Knox Johnston, premier homme à accomplir un tour du monde en solitaire, fut aussi le premier à organiser une course autour du monde en solitaire mais avec escales, feu le BOC challenge. Avec Thomson, l’histoire ne ferait que reprendre ses droits.