Vices et vertus des objets connectés au service de la santé
Sport-études
Applications et autres appareils électroniques mettent le système de santé traditionnel au défi, explique Nicolas Bourdillon, chercheur à l’Unil et responsable recherche et développement de la start-up Becare SA. Il sera du 8 au 11 janvier au CES Las Vegas, une convention consacrée à la technologie qui accueille pour la première fois un pavillon suisse

Ceinture thoracique vous indiquant votre état de fatigue, montre surveillant votre sommeil, fourchette comptant les calories ingurgitées, capteur d’activité mesurant votre dépense énergétique, écouteur vous indiquant votre rythme cardiaque, lunettes avec compteur de vitesse intégrée, smartphone donnant la pression artérielle et l’électrocardiogramme: la liste des applications pour smartphones et objets connectés biométriques tient de l’inventaire à la Prévert, mais ils vont devenir des outils incontournables de la santé du futur.
Dans le système de santé traditionnel, une personne s’adresse à une structure médicale, un coach personnel, un opticien, un physiothérapeute, en fonction de ce qu’elle ressent. Il appartient au spécialiste consulté d’évaluer le problème, par exemple un déséquilibre physiologique ou une situation qui pourrait être pathologique, puis de proposer à la personne une solution, en s’appuyant sur des mesures fiables, standardisées et des processus admis scientifiquement et éthiquement. Le rôle du spécialiste est essentiel car il réside dans l’interprétation des données biomédicales.
Interprétation cruciale
Avec les objets connectés, les personnes sont désormais exposées directement à la mesure, mais elle est rarement accompagnée d’une interprétation. Or l’interprétation est l’élément essentiel de la démarche puisque c’est grâce à elle que la personne peut connaître son état de santé et trouver des solutions. Sans interprétation, il y a un risque réel de tomber dans l’obsession de la mesure, ce qui peut générer de l’anxiété, de la culpabilité ou au contraire du déni et du désintéressement. Dans tous les cas, la personne passera à côté des éléments clés de sa santé.
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Emettre un diagnostic n’est pas seulement comparer la mesure individuelle à une norme (ce qui peut parfois aider) mais c’est aussi interpréter des mesures personnelles en connaissance du passé de la personne. Or, il est impossible de normer un suivi individuel. En revanche, un système utilisant l’intelligence artificielle peut clairement aider au diagnostic, en détectant une modification de comportement des paramètres biométriques.
Par exemple, une ceinture thoracique donnant l’électrocardiogramme, et s’appuyant sur l’intelligence artificielle, peut détecter une modification de l’activité du système nerveux autonome indiquant que le corps est en train de lutter contre une perturbation. Elle peut aussi détecter les infarctus silencieux, précédant un infarctus massif, diagnostiquer l’un permettant de prévenir l’autre. Elle peut enfin guider la personne dans l’amélioration de ses performances motrices et cognitives en incitant à la stimulation mais en évitant la surcharge. L’intelligence artificielle guide donc la personne, mais elle peut aussi alerter un spécialiste désigné (coach, médecin).
Alléger les coûts de la santé
Le premier avantage d’une mesure fiable couplée à l’intelligence artificielle est donc le guidage de la personne, ce qui tend à la rendre responsable de sa santé. Le second avantage réside dans la précocité du diagnostic: il est toujours plus facile de traiter à un stade précoce plutôt qu’avancé. Le troisième avantage, qui en découle, est l’allègement des coûts de la santé lorsque le problème est identifié précocement ou, encore mieux, lorsque la maladie est prévenue.
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Par contre, la prévention ne doit pas verser dans l’analyse prédictive du risque, qui présente un danger éthique immense. Personne ne peut vivre normalement si on lui annonce à 20 ans qu’il a 90% de risques de déclencher la maladie de Parkinson passé 50 ans. Les statistiques ne doivent aboutir qu’à des recommandations simples visant un changement de comportement (une habitude alimentaire, une activité sportive par exemple) mais pas à la prédiction d’une maladie incurable.
Le danger le plus important est probablement celui de la protection des données personnelles. Si, par exemple, les assurances modulaient leurs contrats en fonction de la prédiction sur la santé de chacun, le principe de solidarité qui repose sur la mutualisation des risques serait aboli, ce qui abolit aussi l’égalité de chacun devant le système de santé.
La santé connectée continuera son développement, mais elle ne peut être efficace que si elle repose, d’une part, sur un fondement scientifique qui garantit la mesure; et, d’autre part, si elle est accompagnée par l’utilisation pertinente d’une intelligence artificielle. Cette dernière ne remplacera pas le spécialiste, mais deviendra son alliée incontournable.