Les voitures électriques, formule magique
Automobilisme
Dimanche 10 juin, les rues de Zurich accueilleront une course de Formule E, réservée aux voitures électriques. Une discipline spectaculaire, en plein essor mais encore méconnue. Visite guidée de l’édition précédente, à Paris

Double événement ce dimanche dans les rues de Zurich: pour la première fois depuis soixante-trois ans, une course automobile sur circuit sera organisée en Suisse, et les voitures qui rouleront seront propulsées par des moteurs électriques. La Formule E débarque. Elle était le 28 avril dernier à Paris. Visite dans les paddocks.
Six heures avant le départ, une effervescence peu banale règne autour des Invalides. Par milliers, des curieux sont venus voir à quoi ressemblera le GP du futur. Pour assouvir la curiosité du public, entre la deuxième séance d’essais libres et les qualifications, les spectateurs munis de billets ont été invités à fureter autour des stands. Un lieu où il est, d’ordinaire, absolument interdit de pénétrer.
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Inimaginable en F1, la scène s’avère habituelle en Formule E. Et pour cause: la compétition se distingue par sa volonté farouche, et inédite, de bousculer les codes traditionnels du sport automobile. Résultat, plus de transparence et d’interaction pour un public aux anges. En Formule E, le spectateur est roi. Et son intervention va si loin qu’elle peut même interférer sur la course via le FanBoost, un bonus de puissance de 100 kJ, utilisable une fois par course et accordé via Twitter par les fans à leur pilote préféré.
«La Formule E me rappelle la F1»
En se promenant entre les monoplaces colorées et les stands d’animation à visée scientifique, une impression bon enfant se dégage. Accessible et savamment marketée, la Formule E a été conçue pour plaire à toute la famille. Oubliez l’ambiance virile, le bruit assourdissant des moteurs et les effluves d’essence qui étourdissent en brûlant. Pas de grid girls non plus sur la ligne de départ, mais une armée d’ingénieurs.
Alain Prost, jusqu’ici copropriétaire de l’équipe Renault eDams, explique: «La relation pilote-ingénieur est essentielle en Formule E. Il s’agit d’une discipline à part. Pour y briller, il faut de l’application, de la concentration. Et puis ce goût d’apprendre! En cela, la Formule E d’aujourd’hui me rappelle la F1 de mon époque, où l’on a vu arriver les freins en carbone, les turbos, les effets de sol, les jupes. Tout le monde devait se remettre en cause constamment, apprendre, réfléchir, pour pouvoir progresser.»
Le souffle précurseur de l’électrique
Les voitures électriques dépassent les 200 km/h en ligne droite. Leurs robes rappellent celles de l’IndyCar Series nord-américain. Le son, lui, est unique. Plus de pétarades et de feulements, les échappements ont été remplacés par un bruit électrique métallique et futuriste. Au volant (testé sur simulateur), les sensations sont au rendez-vous. La capacité d’accélération, sans à-coup et supérieure aux moteurs traditionnels, étonne les néophytes. Si l’on en croit les chiffres annoncés par l’organisation, une monoplace engagée en Formule E consommerait 56 kilowattheures en course, «l’équivalent d’une douzaine de programmes de lave-linge».
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Le hic? Les batteries, trop faibles, ne contiennent qu’une charge maximum de 28 kW, occasionnant, dès lors, un curieux manège à mi-course. Plutôt que de changer ladite batterie, les 18 pilotes engagés sautent plutôt d’une voiture à une autre. Chaque écurie doit ainsi disposer de deux voitures par pilote. La saison prochaine mettra fin à cette incongruité digne du Pony Express. Une nouvelle génération de voitures promettant 250 kW de puissance (soit 335 chevaux) mais surtout la capacité de boucler – enfin – toute une course avec la même batterie sera introduite. Un nouveau monde s’ouvrira alors.
D’anciens pilotes de F1 et beaucoup de sponsors
Après une victoire remportée sur le macadam parisien et une troisième place décrochée sur la piste berlinoise de l’aéroport de Tempelhof, le Français Jean-Eric Vergne semble bien parti pour remporter le titre de champion 2018. Ancien pilote d’essai de la Scuderia Ferrari également passé par Toro Rosso, il possède 58 GP de F1 à son actif. Rien qui ne lui fasse pourtant regretter ses anciennes amours. Vergne l’assure, il est «très bien dans ce championnat très disputé! Il y a trois ans, personne n’aurait parié que la Formule E en serait à ce stade de développement. Tout le monde a rigolé quand j’ai décidé de rejoindre ce championnat… Ici, la concurrence marche à plein: quatre pilotes différents ont déjà remporté des courses. Et il n’y a pas besoin d’avoir un gouvernement ou un gros sponsor derrière soi pour avoir un volant…»
Des patronymes évocateurs
Comme lui, le Vaudois Sébastien Buemi (Renault eDams), l’Allemand Nick Heidfeld (Mahindra Racing), le Brésilien Luca Di Grassi (Audi) et le Japonais Kamui Kobayashi (Andretti) possèdent chacun une expérience en F1. Sans compter la présence de patronymes forcément évocateurs, comme Senna (Bruno, neveu du triple champion de F1), Prost (Nicolas, fils du quadruple champion du monde de F1) et Nelson Piquet Jr, autre fils de, chez Jaguar. De quoi attirer les marques, alléchées par la perspective d’un verdissement de leur image. Il y a peu, Hugo Boss est ainsi devenu l’habilleur officiel du championnat de Formule E. Une petite révolution lorsqu’on sait que ce nouveau partenariat s’est noué au terme d’un douloureux désinvestissement. Le couturier allemand était présent en F1 depuis trente-cinq ans…
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Même stratégie du côté du groupe Pernod Ricard. Ses champagnes Mumm ont fait le choix «de promouvoir des valeurs plus proches de l’image que veut véhiculer la marque». Au passage, elle économisera 10 millions d’euros, prix de l’onéreux ticket au pays de Bernie Ecclestone… En cassant les prix et en misant sur une image grand public, la Formule E a su tirer son épingle du jeu. Pour remplir les caisses, tout en jouant la proximité, elle met désormais en valeur un super-partenaire à chaque étape du championnat. L’édition parisienne était «brandée» Qatar Airways Paris E-Prix, celle de Berlin portait le nom du constructeur allemand BMW. A Zurich, ce sera au tour de la banque Julius Baer, sponsor historique de la Formule E.