Reste juste à dénicher la perle rare… Ancien ambassadeur israélien en Belgique (1991-94), Yitzhak Mayer, né en 1934 à Anvers, parvient à convaincre un généreux mécène «européen», basé à Bruxelles, d'investir. En 1996, le centre national des échecs, estimé à 3,3 millions de francs suisses et nommé «Sol Mark Centre», du nom du donateur, est bâti à Ramat-Aviv, dans la banlieue chic de Tel-Aviv. En son sein figure l'Académie Kasparov. «C'est le seul bâtiment au monde à avoir été construit spécifiquement pour les échecs», relève Yitzhak Mayer, qui a réussi le tour de force d'inclure dans le projet la municipalité de Tel-Aviv et le champion du monde en personne, qu'il avait invité à disputer une partie simultanée contre des personnalités belges, en 1993, pour la fête de l'indépendance d'Israël. Garry Kasparov prend le train en marche et donne de sa personne. Il croit en ce projet. Désormais, son Académie d'échecs est un succès et distille ses cours à toutes les classes de la population, aux vétérans, aux handicapés de guerre. L'Académie a même poussé le Ministère de l'éducation à lancer un projet pilote dans une quarantaine d'écoles, pour la tranche d'âge 7-8 ans, avec deux heures d'échecs obligatoires par semaine. Dans la foulée s'est développé, depuis Herzlyah, à quelques kilomètres de Netanya, le site Internet KasparovChess.com, la principale référence aux échecs, qui retransmet notamment en direct les parties du Festival de Bienne.
L'idylle entre Yitzhak Mayer et le jeu des rois remonte à sa jeunesse. «Mon père m'en a inculqué les rudiments. A Anvers, quand il se rendait au club, il fallait aller le chercher pour qu'il rentre à la maison, tant il se plongeait dans cet univers». Après la Seconde Guerre mondiale, où Yitzhak Mayer sera réfugié dans la commune zurichoise d'Eglisau, il émigre en Israël, en 1946, juste avant l'indépendance. Sur l'échiquier, il remportera même comme étudiant le championnat de Tel-Aviv de sa classe d'âge. «Mais je n'ai jamais songé à m'y plonger complètement. Pour progresser, il faut s'entraîner très régulièrement, apprendre de nombreuses variations, je n'étais pas prêt à tous ces sacrifices».
De son bureau à l'Ambassade de Berne, il suit heure par heure les derniers développements du sommet de Camp David, une partie d'échecs d'un autre genre, qui le préoccupe. Ce qui ne l'empêche pas de se tenir informé de l'actualité échiquéenne, de l'apprécier. «Un Festival comme celui de Bienne, c'est une rencontre démocratique par excellence, l'essence même du jeu d'échecs, souffle-t-il. Les meilleurs du monde, les grands maîtres, les juniors, les seniors, tous se côtoient, toutes les classes sociales sont représentées. Pas besoin de débourser 1000 dollars, comme pour entrer dans un club de golf, ou d'acheter des tenues blanches pour jouer au tennis.» Pour Yitzhak Mayer, les échecs sont accessibles à tous. Et de citer un exemple douloureux. «Même dans le camp de concentration d'Auschwitz, les gens les plus malheureux de la planète y ont joué.»
Diplomate de carrière, l'ambassadeur suit les résultats du Festival de Bienne depuis une vingtaine d'années. Au bas mot. «En 1980, j'étais consul général à Zurich, reprend-il. Et j'étais venu à Bienne pour mon plaisir, pour goûter à cette atmosphère.» Les échecs sont parfois aussi un baromètre de la situation politique. Comme lors du fameux choc de Reykjavik, en 1972, au plus fort de la guerre froide, entre Bobby Fischer et Boris Spassky. «Les Soviétiques ont investi des millions pour prouver leur supériorité dans les échecs, mais aussi pour démontrer que leur système politique était un modèle. Pour y parvenir, il fallait se mesurer aux Américains, aux Occidentaux, il fallait terrasser Bobby Fischer, la référence américaine et le symbole du capitalisme. Les échecs étaient devenus un outil de la guerre froide». Avec une suprématie soviétique, même si, durant quelques années, Bobby Fischer fut champion du monde. Aujourd'hui, sans surprise, le modèle de Yitzhak Mayer se nomme Garry Kasparov…