Il est 8h30 ce vendredi matin. Toutes les lumières du centre de badminton d’Yverdon ne sont pas encore allumées et Anthony Dumartheray a les yeux un peu collés. Le lendemain, il emmènera la première équipe du club yverdonnois en finale du championnat de Ligue nationale A contre Team Argovia. Le match aller se déroule à domicile à 16 heures, le retour le lendemain à Gebenstorf est prévu à 14 heures. «Difficile de dire qui est favori. Les six meilleures équipes du pays se tiennent. Cela se jouera à la forme du moment…».

Assembler les gradins

Le titre tomberait à pic pour les 20 ans du BC Yverdon. Il serait même le premier remporté par une équipe romande. Ecrire l’histoire, ce serait bien joli, mais pour l’heure, il y a du travail. Les joueurs libres en matinée se sont donné rendez-vous pour assembler les gradins qui permettront d’accueillir les quelques centaines de spectateurs attendus. «C’est un échauffement parfait avant un grand match, non?» se marre Jan Fröhlich, l’entraîneur-joueur tchèque de l’équipe.

La veille, Swiss Olympic a dévoilé à Ittigen une riche étude sur les clubs sportifs du pays. Leur réalité. Leurs problèmes. Leurs perspectives. Entre les lignes se dessine un portrait-robot. Le club suisse a les deux pieds dans le sport de masse; la tête dans le sport d’élite. Il repose essentiellement sur le bénévolat mais cède quelques tâches à des salariés. Il se concentre sur une seule discipline, compte moins de cent membres, plus d’hommes que de femmes et de plus en plus de (très) jeunes enfants. Au-delà d’une voie vers la compétition, il est un lieu de vie, d’intégration et d’échange entre des personnes d’horizons très différents. Le Badminton Club d’Yverdon-les-Bains fait la synthèse de tous ces éléments. Le club suisse alpha.

Pyramide intégrale

Le centre de «bad» se dresse à la sortie nord-est de la ville. Comme il faut le contourner pour se rendre à la plage publique, c’est un bâtiment familier de tous – même ceux à qui il faut rappeler que c’est le sport où l’on utilise un volant. A l’intérieur, douze terrains de jeu totalement dédiés – les sols s’affichent vierges de tout marquage parasite – mais aussi un grand bar, quelques tables, des bureaux, le local d’un masseur. Au premier étage, les vestiaires; au second, le dojo du plus grand des trois clubs de judo yverdonnois. On ne le remarquerait pas sans le ballet incessant d’enfants en kimono.

Actuellement, nous avons une équipe à chaque degré hiérarchique, sauf en 2e ligue. C’est idéal. Nous pouvons intégrer chaque jeune au niveau qui lui correspond

Le bâtiment a vu le jour en 2001 en réponse à un problème d’infrastructures. «Le club était à l’étroit dans la salle d’origine à Montagny, se souvient la présidente Rosalba Dumartheray. Comme à Yverdon il manquait des salles de gym, les autorités communales ont octroyé un droit de superficie pour la construction du centre.» Il appartient à une coopérative privée, dont le club de badminton est locataire. Un cas plutôt à part: 67% des clubs du pays organisent leurs activités dans des infrastructures publiques. L’étude de Swiss Olympic précise bien que tous les clubs ont en commun le fait de devoir relever des défis singuliers.

A 59 ans, Rosalba Dumartheray est la figure tutélaire du club. Il y a exactement vingt ans, elle fut la première à y donner des entraînements. Depuis, elle assume toutes sortes de tâches. Ce mercredi après-midi, elle gère les réservations de courts pour le compte de la coopérative tout en détaillant la vie de son club. «Actuellement, nous avons une équipe à chaque degré hiérarchique, sauf en 2e ligue. C’est idéal. Nous pouvons intégrer chaque jeune au niveau qui lui correspond.» De la base au sommet, la pyramide du sport dans son intégralité.

L’invention du «babynton»

Statistiquement, il y a en Suisse moins de clubs que par le passé. Ils comptent moins de membres mais une part toujours croissante de jeunes. A Yverdon, la tendance se confirme. Pour y répondre, le club a inventé les cours de «babynton» destinés aux tout-petits dès qu’ils sont capables de marcher. «C’est un éveil au sport sur le modèle de la gymnastique mère-enfant, explique Rosalba Dumartheray. Cela marche fort et c’est une bonne chose. On entend tellement de parents dire que leurs enfants ont besoin de se dépenser…»

Les clubs suisses sont un lieu de transmission; pas étonnant que les propres enfants de notre interlocutrice aient grandi une raquette à la main. C’est sa fille Ornella qui a eu l’idée du babynton. Quant à son fils, Anthony, il vit par et pour le badminton. Pendant des années, il n’a «fait que ça», c’est-à-dire jouer, de rencontres de Ligue nationale A en tournois internationaux en passant par des compétitions avec l’équipe de Suisse. Aujourd’hui, il demeure le joueur emblématique du club et gagne sa vie en donnant des entraînements: aux cadres nationaux M13 et M15, aux sélections vaudoises et bien sûr aux équipes d’Yverdon.

Il y a un aspect un peu injuste. D’un côté, tous les joueurs issus du club ne touchent rien pour jouer dans l’élite, d’un autre, nous payons nos étrangers.

A ce titre, il est payé par le club, comme tous ceux qui assument la responsabilité de cours. Pour régater parmi les meilleures équipes du pays, le BC Yverdon rémunère également quelques renforts pour son équipe de LNA, dont un Anglais et un Ecossais qui sautent dans un vol low cost pour chaque rencontre. Dans les clubs suisses, 4% des postes de travail sont salariés. «Il y a un aspect un peu injuste, reconnaît Rosalba Dumartheray. D’un côté, tous les joueurs issus du club ne touchent rien pour jouer dans l’élite, d’un autre, nous payons nos étrangers. C’est un peu embêtant. Mais en même temps, notre modèle repose sur la présence d’une équipe de LNA comme locomotive.»

Des projets différents

Tous les mercenaires ne viennent pas de loin. Depuis deux ans, Ayla Huser pendule entre Berne et Yverdon. En général, elle s’entraîne de son côté mais ce mercredi, à quelques jours de la finale du championnat, elle a fait le déplacement. «Au sein de l’équipe, certains gagnent de l’argent et d’autres pas, mais ce n’est pas un sujet sensible, assure-t-elle. Chacun a des projets différents. Moi, j’envisage vraiment le badminton comme un métier, pour d’autres c’est un hobby, même à haut niveau.»

A 24 ans, Ayla Huser est la deuxième meilleure joueuse du pays derrière Sabrina Jaquet, qui vient d’offrir à la Suisse sa première médaille aux championnats d’Europe depuis trente-sept ans, et qui a participé aux Jeux olympiques de Londres et Rio. Ayla espère suivre sa trace, être du voyage à Tokyo et, en attendant, elle jouera encore à Yverdon la saison prochaine. «Je me sens super bien dans ce club, l’atmosphère est familiale, tout le monde donne un coup de main. Je suis payée pour jouer, mais je vais toujours aider à mettre en place la salle ou la ranger. C’est normal.»

Nous ne sommes pas si nombreux, donc chacun doit injecter de l’huile de coude pour que la machine tourne

Dans les clubs suisses, 84% des tâches sont assumées à titre bénévole. A Yverdon, tous les membres participent aux lotos, soupers de soutien et tournois organisés. Les jeunes officient comme juges de ligne lors des matches de LNA. Les joueurs de la première équipe ne sont pas en reste. Sarah Golay, associée à Ayla Huser en double dames, ne touche pas un franc pour taper dans le volant, et à côté de ça, elle met littéralement la main à la pâte pour le club. Sa spécialité, c’est le cake au chocolat.

«Il faut bien que des gens fassent des choses pour rapporter de l’argent, se marre la physiothérapeute de 26 ans, employée à 100% dans un hôpital, en enfilant ses chaussures. Nous ne sommes pas si nombreux, donc chacun doit injecter de l’huile de coude pour que la machine tourne.» La présidente Rosalba Dumartheray lui jette un regard complice en réparant le cordage d’une raquette. «D’autant que cette année, notre parcours en play-off nous coûte des sous! Environ 10 000 francs, entre les gradins à installer, les arbitres à payer, les joueurs britanniques à faire venir…»

Chaque centime compte

Le club suisse moyen affiche un budget de 60 000 francs et réalise un léger excédent de recettes de 1000 francs; celui du BC Yverdon tourne autour des 100 000 francs, réunis comme partout ailleurs entre les cotisations des membres, les recettes des différentes manifestations, les subventions publiques, l’argent de quelques sponsors… et les bénéfices des ventes de pâtisseries. Chaque centime compte. «Il n’y a pas de petites économies, confirme Anthony Dumartheray. Tout ce qu’on peut faire nous-mêmes, on n’hésite pas. Samedi, avant le match, je vais cuisiner les pâtes et la sauce bolognaise pour tout le monde. C’est ce qu’on avait fait en demi-finale, ça avait bien marché.» Quand la superstition rejoint les impératifs financiers…

Même les renforts étrangers doivent se satisfaire de cette manière de fonctionner au plus simple. «Ce week-end, les deux Britanniques viennent dormir chez ma copine et moi, et l’un d’entre eux prend sa femme avec. Ce sera un peu camping», rigole Anthony. Sa copine, Malika, ne lui en voudra pas: elle fait également partie de l’équipe. C’est la sœur de Sarah Golay, elle-même en couple avec un autre coéquipier. «Une sortie d’équipe, c’est presque une sortie de famille», rigole la reine des cakes.

Fonction intégrative

Dans son étude, Swiss Olympic relève l’importance de la vie interne du club et sa fonction intégrative. A Yverdon, Jan Fröhlich ne dira pas le contraire. Ce trentenaire tchèque est arrivé au club voilà cinq ans sans parler un mot de français. Aujourd’hui, l’entraîneur-joueur se sent au centre de bad comme chez lui. Son arrivée se fait sous les «Salut champion!». Il vient de rentrer de Nouvelle-Zélande où il a remporté le tournoi de badminton des Masters Games, une compétition internationale multisports réservée aux plus de 35 ans organisée tous les quatre ans.

«C’est un peu les Jeux olympiques des vieux, tu vois, nous lance-t-il avec le sourire qui a fait de lui le chouchou des dames dès son arrivée dans le Nord vaudois. Alors on peut dire que je suis un peu champion olympique, non?» Un champion olympique qui, son décalage horaire à peine digéré et à la veille de disputer une finale de championnat de Suisse, s’échauffera en mettant en place des gradins.


Les clubs sportifs en Suisse, quelques repères

Un quart de la population suisse âgée de 5 à 74 ans fait partie d’un des 19 000 clubs sportifs suisses. Il y en avait 27 000 en 1996; de nombreuses fusions expliquent cette diminution.

68% des clubs suisses comptent moins de cent membres; 8% des clubs en ont plus de 300. Ils regroupent 42% de tous les membres de clubs en Suisse.

La densité de clubs sportifs est plus élevée à la campagne que dans les villes; elle est également plus importante en Suisse alémanique qu’en Suisse romande et au Tessin. Dans les régions latines, les clubs sont plus orientés vers le sport d’élite.

Chaque année, le travail accompli bénévolement au sein des clubs s’élève à 75 millions d’heures.

Les clubs sportifs envisagent l’avenir avec moins d’optimisme qu’il y a six ans. Ils sont préoccupés par les problèmes liés à la relève et au recrutement de bénévoles. 41% des clubs estiment leur existence menacée par l’ampleur de l’un de ces soucis.

Lire l’étude complète: Clubs sportifs en Suisse – Evolution, défis et perspectives