Les performances actuelles naissent-elles davantage du talent naturel des athlètes ou des soutiens technologiques dont ils bénéficient? Les années passent, la question enfle. Le Temps se l’était d’ailleurs posée récemment (LT du samedi 28 juillet dernier). Elle a nourri une longue causerie organisée, à la maison suisse, sous l’égide de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

C’est inévitable: la thématique des apports scientifiques ressuscite toutes les interrogations autour du dopage. «On évoque trop les tricheurs, et pas assez les athlètes propres», regrette le judoka Sergei Aschwanden, médaillé de bronze lors des Jeux de Pékin. «Quel message veut-on donner aux jeunes? Qu’il faut à tout prix se doper pour réussir dans le sport? De tels discours tueront la prochaine génération.»

Professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, où il est également directeur de l’Institut des sciences du sport, Grégoire Millet rappelle que, désormais, l’utilisation du passeport biologique altère la perspective: «Nous ne sommes plus dans une approche pharmacobiologique stricte, qui commande de déceler la substance. Nous entrons dans une approche modélisée, où une anomalie autorise le soupçon et permet de cibler le contrôle.»

En outre, la conservation des échantillons pour une durée de huit ans constitue une menace majeure pour les athlètes. Et le dopage génétique? L’expert demeure perplexe: «On ne sait pas trop dans quelle mesure il serait efficace. Pousser une composante reviendrait sans doute à en briser une autre. Or, l’athlète est un tout, à un niveau systémique.»

L’influence du mental

Du coup, d’autres méthodes, légales celles-là, prendraient le dessus. En témoigne l’équipe cycliste Sky, entourée de scientifiques de haut niveau, issus par­fois d’autres disciplines (comme son physiologiste, actif autrefois dans la natation). «La science peut permettre d’établir un profil de puissance, poursuit Grégoire Millet. Elle peut aider le sportif à mieux récupérer, par la cryothérapie par exemple, ou à mieux s’entraîner en établissant l’utilité de la pratique en altitude ou d’une certaine nutrition. Et dans quelques années, la miniaturisation des outils rendra possible la présence de capteurs sur les corps pour connaître la situation réelle en compétition.» Sergei Asch­wanden l’admet: en judo, les apports technologiques demeurent minimes.

Le Vaudois vante en revanche le poids du mental. Cette influence ne serait toutefois vérifiable qu’à partir d’un certain âge, facteur d’expérience. «La neuroscience a établi qu’il faut énormément de temps, des années, 10 000 heures de pratique par exemple chez des pianistes, pour observer des changements à ce niveau», explique le scientifique de l’EPFL Michiel van Elk.

Il est exact, cependant, que des facultés propres sont développées en fonction des activités. Ainsi un joueur de basket est-il plus apte à définir où un ballon se déposera, et un buteur patenté, en football, perçoit le but plus grand qu’il ne l’est (par opposition à un joueur moins fort, qui peut le percevoir plus petit). D’autres domaines naissent des raisonnements similaires: il a ainsi été établi que les chauffeurs de taxi londoniens disposaient d’un hippocampe – une zone du cerveau – plus grand que les chauffeurs de bus (or la navigation spatiale est une fonction majeure de l’hippocampe).

Cela dit, malgré les avancées, Michiel van Elk ne croit pas en la science comme génitrice de champions.

Le dur labeur indépassable

«Théoriquement, on pourrait penser qu’elle suffirait à déterminer, selon les qualités décelées, vers quelle discipline doit se diriger tel ou tel jeune sportif, dit-il. Mais ce n’est que de la théorie. Je ne crois pas au potentiel d’un tel scanner.» Selon Grégoire Millet, «la science ne remplacera jamais la sueur, le sang et les larmes, pour paraphraser Churchill. ­L’entraînement reste le facteur le plus efficace pour améliorer la performance, et une pilule ne remplacera jamais la VO2 max (la consommation maximale d’oxygène). En outre, la science peut améliorer les composantes de l’entraînement, mais l’entraînement ne peut pas être, en tant que tel, uniquement scientifique. La science, par essence, doit être réfutable et reproductible. L’entraînement ne l’est pas.»