Depuis 1956, l’entreprise suisse Crypto AG collaborait avec le renseignement américain, britannique et allemand
Espionnage
Des documents historiques publiés par la BBC révèlent la longue relation commerciale – et secrète – entre l’entreprise zougoise Crypto AG et les agences du renseignement américaine (NSA) et britannique (GCHQ). L’accord conclu au milieu des années 1950 a permis l’espionnage des communications diplomatiques de près de 130 pays

On connaissait des bribes de l’histoire. Aujourd’hui, de nouveaux documents analysés et publiés par la BBC retracent la vieille relation commerciale – et secrète – de la société zougoise Crypto AG, spécialisée dans la fourniture de solutions de chiffrement à l’usage des ministères et des ambassades, avec les agences américaine (NSA) et britannique (GCHQ) du renseignement . Ils documentent ainsi la longue expérience helvétique dans l’art de la surveillance.
Dès 1956, le renseignement américain et britannique concluent un accord avec la société suisse pour qu’elle fournisse des machines «truquées» à ses clients. Pour comprendre la genèse de cette relation commerciale, il faut remonter au début des années 1950.
En 1952, le Suédois d’origine russe Boris Hagelin crée Crypto AG. Durant la Seconde Guerre mondiale, il œuvre aux Etats-Unis avant de transférer ses activités à Zoug. A l’époque, la société est à la pointe de la technologie en matière de chiffrement et de codage des communications. Elle bâtit son succès sur ses solutions et tire parti du statut de neutralité de la Suisse. Un argument de choix pour les Etats en pleine Guerre froide.
Face à l’avancée technologique de la Suisse, la NSA et le GCHQ prennent peur. Les agences américaine et britannique du craignent en effet de perdre le contrôle des communications au sein de l’OTAN. En 1956, elles négocient un accord secret avec Boris Hagelin. A la suite de sa rencontre avec le célèbre cryptoanalyste de la NSA, William Friedman, celui-ci accepte de livrer des machines «truquées» à ses clients. Elles contiennent une porte dérobée, qui permettait aux Américains et aux Britanniques d’accéder à la clé de chiffrement en même temps qu’au message codé.
Le renseignement allemand (BND) et l’entreprise Siemens se joignent à l’opération. Durant plusieurs décennies, ils déchiffrent les communications diplomatiques et militaires de plus de 130 pays, dont l’Iran, l’Egypte, l’Irak, l’Arabie saoudite ou l’Inde. Jusqu’aux années 1990, aucun Etat client de Crypto AG ne soupçonne la relation secrète entre la firme suisse et le renseignement américain, le britannique et l’allemand.
Piste iranienne
C’est une fuite qui va faire éclater le scandale, à la suite de l’assassinat de l’ancien premier ministre iranien Chapour Bakhtiar. L’Iran est alors client des solutions de Crypto AG. Le 7 août 1991, soit la veille de la découverte du corps de l’officiel, les services secrets iraniens transmettent un message codé aux ambassades iraniennes: «Bakhtiar est-il mort?» Téhéran découvre que les gouvernements occidentaux ont été capables de déchiffrer le message. L’Iran soupçonne alors ses équipements de chiffrement provenant de Crypto AG.
Téhéran arrête Hans Bühler, qui officie en tant que représentant commercial en Iran pour Crypto AG. L’ingénieur tombe des nues. Ne sachant rien, il ne dit rien. Après 9 mois d’emprisonnement, il est libéré moyennant le versement d’une caution de 1 million de dollars. A son retour en Suisse, Hans Bühler est licencié par Crypto AG. La société suisse nie alors toute implication et intente un procès contre son ancien employé. Elle y renoncera finalement. La NSA et Cryto AG ont refusé de commenter les documents historiques publiés par la BBC.
Au tournant des années 2000, Berne s’était ému d’une tentative de rachat de Crypto AG par les Etats-Unis. L’administration fédérale était alors intervenue, exceptionnelle entorse au libéralisme, pour empêcher l’acquisition par l’étranger de ce véritable «champion national» du cryptage. Reste à savoir si les fonctionnaires suisses savaient quelles étaient les véritables relations de Crypto AG avec les services anglo-saxons.